Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/748

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la Convention s’allie au peuple. Il faut que l’insurrection s’étende de proche en proche sur le même plan ; que les sans-culottes soient payés et restent dans les villes. Il faut leur procurer des armes, les colérer, les éclairer. Il faut exalter l’enthousiasme républicain par tous les moyens possibles. »

L’homme qui écrivait pour lui-même ces paroles et se traçait ce plan d’action, n’est pas le calculateur ambitieux qui, ayant abattu ses rivaux, cherche à se ménager auprès de leur clientèle sociale, et à inscrire parmi ses chances d’avenir et de grandeur l’influence de la classe bourgeoise. Non, si Robespierre a adopté sans chicaner, sans disputer, la Constitution du 24 juin, c’est d’abord parce qu’en soi, et malgré ses lacunes ou ses timidités, elle est le plus beau plan, le plus humain, le plus libre, le plus égalitaire, d’administration politique et sociale qu’aient encore connu les hommes. C’est ensuite et surtout parce qu’il faut créer sans délai l’unité de pensée et d’action dans la Convention nationale, et assurer par là la main mise vigoureuse et rapide de la Convention sur le pays déconcerté et déchiré. Le 31 mai avait laissé au cœur de la Convention une meurtrissure. Même les Montagnards restaient troublés de l’acte de violence qui avait mutilé l’Assemblée. Et les hommes de la Plaine songeaient vaguement à prendre leur revanche sur la Commune qui les avait despotisés.

Soixante-treize députés, amis de la Gironde, avaient signé en secret une protestation contre le 2 juin ; et bien qu’elle ne fût pas connue encore, elle pesait obscurément sur l’Assemblée.

Qu’adviendrait-il si la Convention, à peine libérée de l’action brutale et de la pression immédiate des forces insurrectionnelles, paraissait braver le peuple révolutionnaire de Paris et renier à demi le 31 mai et le 2 juin ? Ce ne serait pas sans doute la revanche soudaine de la Gironde vaincue ; ce ne serait pas la reprise du conflit entre Girondins et Montagnards qui avait paralysé la Révolution, mais ce serait encore la contrariété des forces, la défiance entre la Convention et Paris, c’est-à-dire une inertie inquiète et une anarchie fondamentale. Déjà, dans le rapport présenté par Barère le 6 juin au nom du Comité de Salut Public, perçaient les hésitations, les demi-rétractations, les vagues représailles. Il parlait du limon impur roulé par le torrent de la Révolution ; il déclarait presque la guerre au Comité révolutionnaire ; il transportait à la Convention seule le droit de réquisition de la force armée ; en proposant que des députés aillent servir d’otages dans les départements que représentaient les députés arrêtés, il jetait un jour sinistre sur les intentions de Paris ; en tout cas, il prévoyait, au lendemain même du coup qui avait frappé la Gironde, une ère de négociation, de réconciliation peut-être ; il atténuait le sens contre-révolutionnaire des mouvements de Marseille et de Lyon, il paraissait garder l’espoir que de bonnes paroles, des procédés conciliants et fraternels maintiendraient ces deux villes dans les voies de la Révolution : n’était-ce pas imputer les troubles qui les agitaient aux violences