Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/807

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duits, offre, à peu près partout, le même scandale d’hommes victimes d’autres hommes. Qu’en conclure ? Que c’est le malheur inévitable de la société ? Non, c’en est le crime, et il est tout entier dans notre abusif droit de propriété foncière…

« La justice sociale » établit son empire « sur deux principes immuables : le premier, que la terre est à tous en général et n’est à personne en particulier. Le second, que chacun a un droit exclusif au produit de son travail…

« …Il suit de l’un que si la terre est à tous, en général, et n’est à personne en particulier, nul ne doit en posséder en propre, ou tous doivent avoir le même avantage ; de l’autre, que si chacun a un droit exclusif au produit de son travail, il doit être libre d’en disposer à son gré, moyennant toutefois que la chose publique n’en souffre pas.

« De là il suit encore que la portion de terre répartie à chacun, ayant été tirée du droit commun, doit y revenir après lui, et qu’au contraire, ayant sur le produit de son industrie un domaine absolu, il peut le transmettre à sa volonté ou dans l’ordre de succession que la loi établit. Donc, en dernière analyse, on ne peut acquérir sur le fonds de terre qu’un droit de possession viagère ; donc il ne peut exister qu’une seule espèce de propriété transmissible, qui est la propriété mobilière… »

Comme on voit, Dolivier s’arrête au degré où se tenait Babeuf lui-même dans sa lettre à Coupé de l’Oise. Le droit inaliénable de tout individu qui vient au monde ne s’applique qu’à la terre. Et lorsque la société a assuré à chaque individu, par son lot viager de terre, le minimum d’existence, elle ne lui doit plus rien : elle laisse chacun, sur cette base étroite, mais indestructible, inaliénable, édifier une fortune plus ou moins haute.

Mais Dolivier, obsédé par la primauté de la richesse foncière, s’imagine que l’écart entre les fortunes mobilières serait bien faible quand la propriété du sol serait également répartie entre tous, et quand elle ne pourrait jamais, par le caprice d’une génération, se concentrer en un petit nombre de mains.

Évidemment, il a en vue une production industrielle parcellaire encore, une société d’artisans modestes préservés du prolétariat par la possession d’un petit capital foncier :

« Comment n’est-on pas indigné, révolté de voir le sort politique des hommes abandonné au hasard de la naissance ou de quelques circonstances particulières, et de voir que le bonheur ou le malheur est le partage d’êtres qui n’ont rien fait pour mériter l’un plutôt que l’autre ? Quoi ! de deux enfants qui viennent au monde, dont l’un est fils d’un riche propriétaire, et l’autre d’un infortuné manouvrier qui ne possède que ses bras pour subvenir à sa subsistance, le premier naît avec des droits immenses, et le second n’a pas même celui de reposer nulle part sa chétive existence ! L’un se trouve tout porté au sein des commodités, des honneurs, des plaisirs, et l’autre, réduit au plus triste abandon, se trouve condamné aux privations de toute espèce, à la