Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/814

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stances est elle-même un mal, et entraîne avec elle une foule d’inconvénients. Il faut viser au moyen de n’en avoir jamais besoin. »

Est-ce que cette phrase se rapporte au vote de la Convention en mai 1793 ? Non, c’est le prix du blé seulement qui fut fixé alors ; si elle se rapporte aux mesures plus étendues adoptées en septembre, elle a été ajoutée après coup au manuscrit, quoique Dolivier déclare l’avoir laissé tel qu’il était il y a six mois, et alors c’est seulement en septembre que l’opuscule aurait été imprimé.

Mais quoi ? Dolivier, préoccupé de ménager la démocratie de tout petits fermiers et bientôt de tout petits usufruitiers qu’il veut constituer et qui considérera la taxe des denrées comme une gêne, Dolivier a beau n’y voir qu’un moyen empirique assez injuste et fâcheux, ce n’est pas son système qui fera refluer le courant qui porte le peuple vers la taxation. Car, même s’il acceptait pour l’avenir la conception de Dolivier, c’est un soulagement immédiat que le peuple réclame, c’est l’abaissement immédiat du prix de la vie. Et cela, Dolivier, avec son système à échéance lointaine, avec ses transitions lentes, ne le lui apporte pas. Lange non plus ne répond pas, par sa large et belle vision fouriériste d’association féconde, aux exigences pressantes de la multitude inquiète et irritée.

Quel dommage que M. Charlety n’ait pu retrouver l’opuscule publié par Lange en 1793, celui où il systématisait sa pensée, où il donnait son plan d’organisation comme la solution à tous les problèmes posés, comme le remède à tous les maux qui s’exaspéraient ! C’est dans les journées troubles et tristes qui précédèrent l’explosion contre-révolutionnaire de Lyon, que le grand rêveur pacifique donna à sa pensée tout son essor. Je n’ai pu en recueillir que quelques traits à peine par une analyse bibliographique de quelques lignes.

Lange se préoccupait d’accroître la fécondité du sol et de faciliter le travail en régularisant le morcellement capricieux de la propriété foncière. Il n’expropriait pas les détenteurs actuels, ni leurs héritiers. Mais il arrachait les haies qui séparent les domaines, qui dévorent une partie de la substance du sol et qui surtout entravent la libre et rapide culture. Il refaisait à chacun une propriété équivalente à celle qu’il possède déjà, mais il remplaçait le bornage grossier d’aujourd’hui par un système géodésique : le point de chaque domaine serait déterminé par le croisement des latitudes et des longitudes. Il remplaçait par un cadastre scientifique et régulier le cadastre baroque et incohérent des exploitations foncières, et il permettait ainsi aux efforts de se grouper, de s’harmoniser. Dès lors, un vaste bâtiment central, commun à plusieurs domaines voisins, devenait un magasin commun, un hangar commun, un centre d’exploitation et de vie. Hospices, écoles, se grouperaient à côté des grands magasins agricoles, et, dans l’abondance de la terre renouvelée, dans la large effusion de la production agricole débarrassée d’un parti-