Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/88

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Dumouriez le faisaient sourire. Ce grand enfant gâté qui s’imaginait qu’on peut toujours glisser de subtils desseins à travers les blocs heurtés des événements massifs, était opposé à la guerre avec l’Angleterre ; mais il croyait possible d’envahir la Hollande sans provoquer cette guerre. Danton n’avait point cet enfantillage. Il avait, à ce moment, pris son parti de la guerre avec l’Angleterre, et il voulait s’assurer par la possession des ports de la Hollande, par la main-mise sur ses forces navales, des moyens décisifs de combat. Il se servait donc de Dumouriez comme d’un instrument militaire très brillant et très souple. Il se félicitait sans doute que l’invasion de la Hollande, en flattant l’esprit de Dumouriez, développât toutes les ressources de son génie. Mais il ne tenait aucun compte des vues politiques de celui-ci. En Belgique, il allait juste à contre-sens de la politique de Dumouriez. Celui-ci aurait voulu ménager les habitudes, les préjugés des Belges, et en faire un État indépendant gouverné par un régime transactionnel, par une sorte de feuillantisme. Danton avait, au contraire, conclu qu’il était impossible d’assurer la Révolution en Belgique, si on abandonnait le peuple belge à lui-même, et qu’il serait funeste de livrer la minorité révolutionnaire à un retour offensif des nobles et des prêtres. Il s’était donc décidé pour l’annexion, et il avait, pendant sa mission, travaillé les esprits en ce sens. Non seulement il allait par là contre toute la politique de Dumouriez, mais en préparant l’incorporation de la Belgique et même d’une partie de la Hollande jusqu’au Rhin, il achevait de rendre inévitable la rupture avec l’Angleterre. Or, seul, le dessein de ménager l’Angleterre et le souci de prévenir une extension de la guerre aurait pu l’incliner à un système de clémence envers Louis XVI. Son énergie révolutionnaire n’était donc gênée ni paralysée en rien.

Est-il vrai qu’il ait songé un moment, sans doute quand la question du procès du roi commença à se poser, à lui faire grâce de la vie ? Je ne retrouve pas l’origine du mot que lui prêtent quelques historiens et qu’il aurait dit aux Cordeliers : « Une nation se sauve, elle ne se venge pas. » Ce n’est point d’ailleurs un appel à la clémence, mais une protestation contre la grossièreté d’esprit et d’âme qui voyait dans le procès du roi un « acte de vengeance ». Si ce propos avait eu quelque consistance, les Girondins l’auraient reproché à Danton quand, exaspéré et acculé par eux, il les dénonce en avril « comme des lâches qui avaient voulu sauver le tyran ». Saint-Just y fait allusion dans l’acte monstrueux qu’il rédigea contre Danton : « C’est toi qui, le premier, dans un cercle de patriotes que tu voulais surprendre, proposas le bannissement de Capet ; proposition que tu n’osas plus soutenir à ton retour, parce qu’elle était abattue et qu’elle t’eût perdu. Cela est bien vague, et Saint-Just n’insiste guère. Danton n’avait certainement dit aucune parole qui le liât, et c’est avec sa force intacte de Révolution, c’est avec sa foi superbe en elle et en lui qu’il reparaissait le