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parce qu’il fut l’ami de jeunesse de Robespierre ; il semble qu’en le frappant on frappe un peu celui-ci.

Robespierre essaie de le sauver de lui-même. Il l’adjure de revenir à la prudence, de ne pas faire la joie des ennemis de la Révolution. Le 5 janvier la querelle entre Desmoulins et Hébert est personnelle et violente. Robespierre consent à ce qu’on brûle les numéros du Vieux Cordelier, mais demande que la société garde Camille. « Brûler n’est pas répondre » s’écrie celui-ci. Et il accule Robespierre à la rupture. La colère et la douleur de Robespierre étaient d’autant plus grandes qu’il savait bien que Desmoulins avait cédé à une fantaisie violente de son imagination et de sa sensibilité. L’intrigue profonde était ailleurs ; elle était dans les menées de Fabre d’Églantine. Mais Desmoulins était celui qui se découvrait le plus et qui compromettait Robespierre son ami. Par une sorte de diversion suprême, le jour même où il défendait encore Camille, le 8 janvier 1794, Robespierre s’engageait à fond contre Fabre d’Églantine :

« Je demande que cet homme qu’on ne voit jamais qu’une lorgnette à la main et qui sait si bien exposer des intrigues au théâtre, vienne s’expliquer ici. »

Ainsi s’aggravait l’imbroglio, et, par les démarches imprudentes ou funestes des dantonistes, la lutte que Robespierre avait voulu engager courageusement aux Jacobins contre l’hébertisme aboutissait, à quoi ? À obliger Robespierre à suivre Hébert dans l’acte d’accusation contre Fabre d’Églantine.

Les intrigues de quelques-uns des dantonistes, l’imprudence de quelques autres, le détachement de Danton qui grondait un peu et qui laissait faire, tout cela réduisait Robespierre à la défensive, juste à l’heure où il avait décidé l’offensive héroïque contre la faction d’Hébert. En vain il essayait, pour gagner du temps et pour rétablir son plan de campagne, de proposer aux Jacobins de hauts objets de discussion. Le club n’était plus qu’une arène où les révolutionnaires se dégradaient et se déchiraient. Saint-Just traduisait l’arrière pensée de Robespierre, lorsqu’il écrivait le 8 ventôse (26 février) :

« Dernièrement, on s’est moins occupé des victoires de la République que de quelques pamphlets. On distrait l’opinion des plus purs conseils, et le peuple français de sa gloire, pour l’appliquer à des querelles polémiques : ainsi Rome sur son déclin, Rome dégénérée, oubliant ses vertus, allait voir au cirque combattre des bêtes. »

Au cirque des Jacobins, le dantonisme et l’hébertisme se déchiraient et montraient tous deux leurs crocs à Robespierre et au Comité de Salut public.

Ce qui aggravait le malaise, c’était l’affaire obscure d’agiotage, de faux et de corruption à laquelle était mêlé Chabot et où va être impliqué Fabre d’Églantine. Elle couvait sourdement depuis deux mois, depuis la fin de vendémiaire. On se souvient que Delaunay, en juillet, avait dénoncé les ma-