Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/895

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nœuvres dolosives de la Compagnie des Indes, laquelle soustrayait à tout impôt le revenu de ses actions en les remplaçant par de simples inscriptions de transfert et, sous prétexte de procéder à sa liquidation, prolongeait son existence et ses opérations, malgré la loi qui l’avait dissoute, et accroissait même son capital. De même, dans ce rapport du 3 août sur l’agiotage, que j’ai déjà analysé, Fabre d’Églantine signalait les manœuvres illicites et illégales de cette grande Compagnie capitaliste.

« Par la loi du 22 août 1792, disait-il, les compagnies financières sont assujetties à un impôt du vingtième de leurs bénéfices. La Compagnie des Indes se moquant toujours de la loi (comme pour les mutations d’actions dissimulées en un registre secret de transfert) a converti ses bénéfices en entassement de capitaux simulés.

« Et la liquidation aussi est simulée ; et la preuve, c’est qu’elle est du double plus riche qu’elle ne l’était en commençant cette prétendue liquidation. »

Ces deux coups successifs frappés par Delaunay et Fabre d’Églantine éveillent l’attention de la Convention. Et elle décrète, le 27 vendémiaire (17 octobre), que la Compagnie sera tenue de se dissoudre sous la surveillance et par les soins du gouvernement. C’était le coup mortel. Delaunay, qui avait dénoncé la Compagnie, s’opposa à la mesure décisive qui assurait l’exécution de la loi. Pourquoi ? Il paraît bien démontré qu’il n’était qu’un agioteur véreux. Il avait attaqué la Compagnie des Indes ou pour déterminer une baisse des actions et spéculer ensuite en produisant un mouvement inverse de hausse, ou plutôt pour faire chanter la Compagnie. Ayant vu en lui un adversaire redoutable, elle l’acheta. Il devint son homme, et il commença à jouer cyniquement ce rôle en essayant d’amortir, devant la Convention, l’effet des coups que lui-même avait portés.

Au contraire, Fabre d’Églantine, fidèle à lui-même, appuya vigoureusement devant la Convention, le 27 frimaire, les mesures rigoureuses que son discours du 3 août avait en quelque sorte rendues nécessaires. Oui, mais voici que le texte du décret, renvoyé pour rédaction, selon l’habitude de la Convention, au Comité des Finances, est falsifié. Notamment (je ne retiens que la falsification la plus grave) la liquidation par l’État disparaissait et la Compagnie restait chargée du soin de se liquider elle-même. C’est Delaunay et Jullien de Toulouse qui avaient fait le faux, et ils avaient associé à leur opération l’abject et lâche et cupide Chabot, mêlé aux affaires de finances depuis qu’il fréquentait chez les banquiers autrichiens Frey, dont il venait d’épouser la sœur (5 octobre), avec une dot de deux cent mille francs. Chabot avait accepté de corrompre Fabre d’Églantine, celui-ci était secrétaire, et les faussaires avaient besoin ou de sa complicité active, ou tout au moins de son silence complaisant pour que le décret falsifié passât sans encombre.

Chabot, engagé ainsi dans le crime, n’osa pas aller jusqu’au bout. La