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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/92

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Après le discours de Barère, dont l’effet fut immense, ils ne devaient plus guère espérer le succès. Lorsque Philippeaux, en motivant son vote contre l’appel au peuple, expliqua par quelles incertitudes il était passé avant de se fixer, il dut, j’imagine, raconter l’état d’esprit de beaucoup de ses collègues. La plupart craignirent, et justement, de déchaîner la guerre civile. Ils ne voulurent pas aussi écarter d’eux la responsabilité directe d’un vote contre le roi.

« On vous a souvent répété, dit Philippeaux, qu’il était extrêmement dangereux de se prononcer sur le sort de Louis Capet. Eh bien ! c’est cette raison même qui me fait repousser l’appel au peuple. S’il existe des chances périlleuses pour quiconque jugera le tyran, je dois avoir le courage de les fixer sur ma tête, sans faire à mes concitoyens ce présent funeste, qui ne me tirerait d’embarras que pour creuser leur abîme. »

Sans doute plus d’un parmi les Girondins regretta une solution qui leur permettait, sous le couvert de la souveraineté nationale, de faire clémence. Mais ils n’eurent pas de déception. Le mouvement des esprits contre l’appel au peuple était assez visible depuis plusieurs jours, et les plus généreux d’entre eux se consolèrent sans doute tout bas, en se disant qu’ils avaient fait, au prix de bien des outrages peut-être, et de bien des périls, un suprême effort d’humanité. Il y avait dans ce qu’on peut appeler l’âme de la Gironde plus de fougue que de persévérance, et, malgré la teinte plus sombre des choses, ils gardaient encore en la fertilité de leur génie une confiance qui leur permettait de se dégager assez vite d’une combinaison manquée, que d’autres combinaisons sans doute remplaceraient. Vergniaud, en quelques paroles d’apaisement et d’union, avait été, pour ainsi dire, au devant de l’échec de son parti :

« Je déclare que, quel que puisse être le décret rendu par la Convention, je regarderai comme traître à la patrie celui qui ne s’y soumettrait pas. Les opinions sont libres jusqu’à la manifestation du vœu de la majorité, elles le sont même après, mais alors du moins l’obéissance est un devoir. »

Les Girondins ne songèrent pas un instant, en janvier, à provoquer eux-mêmes l’appel au peuple, s’il était repoussé par la Convention.

L’incertitude était bien plus grande, le lendemain, dans la Convention et dans les tribunes, sur l’issue du troisième vote. On avait l’impression que les forces contraires s’équilibreraient sensiblement. Y eut-il des manœuvres suspectes pour déterminer le vote dans le sens de la clémence ? Il semble bien que l’envoyé d’Espagne, Ocharitz, qui devait écrire le 17 à la Convention une lettre pour demander l’ajournement du procès, ne se soit pas borné à cette démarche publique. Le bruit courut que, par une négociation directe et secrète avec les Girondins, il avait obtenu que l’un d’eux, en se prononçant sur la peine, demanderait qu’il fût statué ensuite sur le sursis. C’est en effet la motion que fit Mailhe. Baudot écrit à ce sujet :