Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/110

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échafauds se dressent ; on tranche les jours d’un grand nombre de ces malheureux. Une soixantaine de pauvres marins trouvés sur le chemin du Beaussel, sans armes, sans même avoir de bâton à la main, sont envoyés à la mort. L’épouvante glace tous les cœurs ; la marine se désorganise ; l’arsenal se dépeuple ; les équipages désertent ; 4 500 matelots abandonnent Toulon ».

À Marseille, les préparatifs étaient achevés. Le fort Saint-Jean avait été mis sous les ordres d’un contre-révolutionnaire forcené, Pagès ; depuis le 1er prairial (20mai), les détenus étaient au régime affaiblissant du pain et de l’eau (Idem, p. 47 et pièces justificatives, p. 140 et suiv.) ; on leur avait enlevé couteaux, ciseaux, bouteilles, chaises, etc., sous le prétexte de « les empêcher d’attenter à leurs jours » (Id., p. 139), en réalité pour les mettre dans l’impossibilité de se défendre ; au lazaret avaient été disposées des fosses avec de la chaux vive (Id., p. 145) où, en effet, furent jetées les victimes ; enfin la garde du fort avait été confiée aux cléricaux très zélés de la compagnie du Soleil (Id. p. 140 et 143). Le 17 prairial (5 juin), les bandes catholiques et royalistes pénétrèrent dans le fort. On alla d’abord rassurer le duc de Montpensier et le comte de Beaujolais, frères du futur Louis-Philippe, qui étaient au nombre des détenus, mais occupaient un appartement particulier ; puis, a raconté le duc de Montpensier dans la Relation de sa captivité, « nous entendîmes enfoncer à grands coups la porte d’un des cachots de la seconde cour, et, bientôt après, des cris affreux, des gémissements déchirants et des hurlements de joie » (p. 108). N’allant pas assez vite avec le poignard, le sabre, le pistolet et la massue, ils se servirent du canon tiré à mitraille, lancèrent dans des cachots des paquets de soufre enflammés et allumèrent de la paille à l’entrée (Fréron, ibid., p. 48) ; après avoir tué, ils volèrent, ils dépouillèrent les cadavres (Id., pièces justificatives, p. 136.

Que faisait donc pendant ce temps le représentant modéré ? C’est « malgré Cadroy » (Mémoire de Fréron, pièces justificatives, p. 133) que le commandant de la place fit battre la générale et réunit des grenadiers pour se porter au fort. Cadroy les y suivit et, d’après le capitaine, « arracha des mains des grenadiers les assassins qu’ils avaient pris en flagrant délit » (Idem) ; quatorze néanmoins avaient pu être gardés, deux jours après ils étaient élargis et, comble de l’ironie cynique, les grenadiers étaient dénoncés comme « terroristes et buveurs de sang » (Id., p. 134) au club royaliste qui décerna une couronne à leurs quatorze martyrs. Cadroy, lui, ne trouva à reprocher aux assassins que de n’avoir pas encore fini, ayant « cependant eu tout le temps qu’il fallait pour cela » (Id.), et d’avoir employé le canon, ce qui avait fait du bruit et pouvait inquiéter la ville (Id., p. 135). Deux cents prisonniers au moins périrent, quelques-uns seulement échappèrent qui firent les morts, pas un assassin ne fut puni.

Une douzaine de départements furent le théâtre de scènes encore parfois