Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/111

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plus épouvantables ; on n’ose pas les raconter, tant leur effroyable horreur paraît invraisemblable (voir, par exemple, le compte rendu de la séance du 29 vendémiaire an IV-21 octobre 1795) et bien qu’il s’agisse de ces cléricaux qu’on sait capables de tout. De l’aveu de Ch. Nodier (Souvenirs, t. II, p. 10), « tout cela ressemblait étrangement aux exécutions des cannibales ». La première Terreur blanche fit des milliers de victimes, parmi lesquelles finirent par se trouver des républicains modérés atteints à leur tour par ceux dont ils avaient encouragé les premières fureurs. On lit, en effet, à ce double point de vue, dans le Moniteur du 14 floréal an III (3 mai 1795) : « À Lyon, un premier mouvement d’une juste indignation, d’une fureur légitime, avait d’abord immolé plusieurs terroristes bien reconnus. Aujourd’hui tout républicain passe pour terroriste, et sa vie est en danger. Des républicains ont été assassinés » ; dans son numéro du 1er prairial (20 mai), ce journal déclarait ne pouvoir accepter un démenti qui lui avait été envoyé au sujet de cette note. Voici maintenant le témoignage de Goupilleau (de Montaigu). Après avoir, à la séance du 16 messidor an III (4 juillet 1795), déclaré : « Le Rhône est ensanglanté ; chaque jour ses rives sont couvertes de cadavres, et celui qui est à la tête des assassins est un homme qui porte en ce moment le deuil du petit Capet », il dénonçait, un mois après (séance du 19 thermidor-6 août), le crime suivant : « Le patriote Redon, juré du tribunal révolutionnaire de Paris, Redon qui a condamné à mort l’infâme Carrier, en passant dans ces malheureuses contrées, a rencontré une de ces bandes d’assassins ; ils lui ont dit : « Tu n’es point un terroriste, un dilapidateur, mais tu es un républicain et nous n’en « voulons point ». À ces mots il fut massacré. » Le réacteur Rovère lui-même, lié avec Redon, confirmait aussitôt le fait et accusait de cet assassinat « des émigrés furtivement rentrés ». Le Moniteur du 21 messidor an III (9 juillet 1795) constate des faits semblables et établit la persistance des massacres.

Le parti modéré d’alors hésitait cependant encore à agir contre les royalistes et, pour la plupart, les modérés sont, par la suite, restés les mêmes ; les leçons du passé ne leur profitent pas. « Comment, a écrit l’un d’eux, Thibaudeau, dans ses Mémoires (t. Ier, p. 240-241), comment la Convention ne tira-t-elle pas vengeance, au nom des lois, de ces crimes abominables ?… Comment fut-elle plus impitoyable envers les terroristes révolutionnaires qu’envers les terroristes royaux ? C’est qu’elle craignait moins les uns que les autres… Il ne me venait pas à la pensée que le royalisme pût renaître de ses cendres, ni que des armées étrangères pussent triompher des nôtres. C’était une erreur, sans doute, mais elle était partagée par beaucoup d’autres. » Eh ! oui, c’était une erreur, et cette erreur, les modérés ont continué à la commettre ; même les sincères ne cessent de rabâcher les mauvaises raisons de Thibaudeau pour se coaliser avec les cléricaux et les monarchistes et écraser les fractions républicaines plus avancées, affectant de ne jamais prendre