Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/21

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tion des princes de Bourbon. Enfin, il apprend que le comte de Provence a débarqué sur le continent et va rallier les armées alliées. Il part pour le rejoindre. Il emporte des signes de reconnaissance que Dalberg lui donne pour les diplomaties prussienne et autrichienne. Il ne peut rien montrer de Talleyrand qui se réserve. Après avoir traversé quelques épreuves, M. de Vitrolles arrivait au siège des armées alliées, à Châtillon.

Du comte de Provence, nul n’avait entendu parler. On le croyait à Vesoul. À vrai dire, on ne s’en occupait guère. De Vitrolles, — qui se faisait appeler Saint-Vincent, — est reçu par M. de Stadion, ambassadeur d’Autriche, ennemi de Napoléon qui avait précipité sa chute comme premier ministre de l’Autriche, au profit de M. de Metternich. De Vitrolles est reçu, expose ses vues. L’aisance et la force de sa parole, la netteté de ses déductions, l’audace de ses affirmations, surprennent, émeuvent le vieux diplomate. Ce n’est plus Stadion que Vitrolles, tour à tour, séduit et entraîne, c’est Metternich. L’ardent royaliste montre aux diplomates la vanité de leurs efforts et l’incompréhensible action de leurs armes. Que veulent faire les alliés ? Maintenir Napoléon après lui avoir imposé un châtiment ? Et quel châtiment ? Une perte territoriale que subira la France, une indemnité de guerre que supportera son budget épuisé ? Quelle politique puérile ! En traitant avec Napoléon, on le consolide et, en le frappant, on frappe la France, lasse de lui, mais qui se rattachera à son prestige, à son génie, si, en elle, le sentiment et l’intérêt sont blessés. Et puis, quel lendemain ! L’empereur meurtri, vaincu, humilié, fera semblant de courber le front. Il retrouvera vite l’occasion propice, et son armée réorganisée fondra, d’un coup subit, sur l’Europe. Traiter avec lui, lui demander des garanties ? Quelle caution pourra-t-il offrir autre que son ambition furieuse ? Vraiment les alliés entreprennent une guerre inutile…

À mesure que Vitrolles parlait, les diplomates, les diplomates surtout, pour qui le profit qu’amène la campagne est toute la campagne, réfléchissaient, et la vérité se faisait jour sur leur propre situation. Jusqu’ici ils n’avaient eu qu’un espoir : vaincre Napoléon, lui imposer un traité et garder l’Europe sous les armes pour faire obstacle à tout retour offensif. Le plan qu’on déroulait sous leurs yeux était lumineux. La garantie que Napoléon pouvait donner contre son génie, c’était que son génie abdiquât et allât se consumer au loin de sa propre flamme. Mais comment faire ? Et qui mettre à sa place ?

— Les Bourbons…

La proposition de restauration avait été hardiment faite. Le lendemain, Alexandre faisait mander, par Nesselrode, son ambassadeur qui avait assisté à l’entrevue, M. de Vitrolles. Sans lui permettre de s’expliquer, Alexandre opposa à l’audacieux royaliste les critiques les plus vives : « Les Bourbons ? Mais de quel droit ? Comment les alliés peuvent-ils se permettre de modifier