Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/61

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des canons, on créa des ateliers, on fit appel à tous les ouvriers, on enrégimenta toutes les ardeurs et tous les courages. Bonaparte, dix-huit heures par jour, surveillait, activait, soufflait sur cette immense forge créatrice de mort de toute la force de sa vie. Mais qu’on était loin des enrôlements volontaires ! Voici ce que Bonaparte recruta : l’armée, à son arrivée, possédait 175 000 hommes, il la porta à 375 000. Par quels effectifs ? Il rappela les anciens soldats, les soldats retraités, l’ancienne jeune garde, et ainsi, sur 200 000 hommes nouveaux, sait-on pour quel chiffre comptaient les engagés volontaires ? Pour vingt mille ! C’est la traduction exacte et brutale de tout l’enthousiasme dont l’histoire napoléonienne a créé la légende. Vingt mille hommes seulement se sont offerts ! Sans doute, la France avait été épuisée. Mais elle avait des ressources. Elle ne donne que vingt mille hommes ! Où étaient les enrôlements volontaires ? Où était la furie patriotique d’autrefois ? Où étais-tu, cité héroïque que la Révolution garda des souillures étrangères où trois fois en un siècle le despotisme noya ta fierté ?

Et même cette armée tout entière ne pouvait, et pour trois motifs, lui servir d’immédiat instrument. Tout d’abord, en dépit de tous les efforts, elle n’était pas tout entière armée, équipée, aguerrie. De plus, il fallait bien garder les places, assurer la sécurité intérieure en cas de revers. Enfin il était nécessaire, dans l’ouragan effroyable qui jetait sur la France toute l’Europe, de garder toutes les frontières. De cette armée, Napoléon dut donc distraire 12 000 hommes pour surveiller la Vendée, avec Lamarque et plus de 45 000 échelonnés le long de la frontière espagnole ou sur le Rhin, ou dans le Var. Que lui restait-il exactement : 115 000 hommes distribués en corps d’armée différents, dont les chefs étaient : comte d’Erlon (1er corps, 18 610 h.) ; comte Reille (2e corps. 25 530 h.). C’est dans ce corps que le général Foy commandait une division. Vandamme (3e corps, 15 200 h.) ; comte Girard (4e corps, 14 160 h.). C’est dans ce corps que le général de Bourmont commandait une division. Comte Lobeau (6e corps, 11 770 h.) ; garde impériale (18 520 h.) ; Grouchy (réserve de cavalerie, 11 290 h.) ; artillerie (7 020 h. et 750 canons). Quant aux armées ennemies, nous voulons parler de celles qui étaient en état sur le Rhin et sur la frontière belge ; elles étaient commandées : l’armée anglo-hollandaise par Wellington, avec 102 500 hommes, et l’armée prussienne, par Blücher, avec 133 000 hommes. L’armée anglaise, qui séjournait aux alentours de Bruxelles, et l’armée prussienne, qui était sous les murs de Namur, séparées l’une de l’autre par quelques lieues, étaient donc au double de l’effectif français.

Napoléon hésita quelque temps sur le plan à suivre, et réunit un conseil de guerre. Il semblait que son ancienne hardiesse l’eût abandonné. On agita longtemps la question de savoir quel serait le théâtre de la guerre, si ce serait les plaines de la France, où l’on attendrait l’ennemi, ou si ce serait en Belgique que se livrerait le combat. Napoléon, fidèle à sa tactique habi-