Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/90

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ment qui surprit sa rouerie cependant prévoyante, la plume lui tomba des mains : le pouvoir lui était arraché. Comment ?

Au milieu de tous ces soucis diplomatiques, la Chambre avait été convoquée, et les élections devaient avoir lieu le 14 avril. On pense ce que fut cette consultation sous les baïonnettes ennemies, sur une terre conquise, au milieu des provocations et des exactions, des rapines et des pillages. La haine de l’Empire et de ses instruments, surtout de ceux qui avaient voulu survivre à la main fatale qui leur donnait la force, la haine fut le seul programme des élections. À ce moment, il y avait deux collèges : le collège d’arrondissement, qui choisissait les candidats, et le collège de département qui les élisait. Le 14 avril eut lieu l’élection : la Chambre qui sortit des urnes reflétait toutes les colères du pays. Avant même qu’elle ne se fût réunie, elle renversa le ministère. Le plus haï était Fouché. Le roi résistait à ceux qui le voulaient exclure, à Decazes surtout qui, dès ce moment, s’emparait peu à peu de son esprit. Mais il ne put rien répondre à la douloureuse requête de la duchesse d’Angoulême, revenue d’Espagne, et qui déclarait ne pas vouloir supporter la vue d’un des hommes à qui son père devait la mort. Fouché dut accepter une ambassade à Dresde, et partit, joué par les courtisans qui le répudiaient au lendemain du jour où il avait cessé de pouvoir les servir. Peu après, il devait être dépouillé même de sa petite mission et condamné à vivre en exil, fortuné, il est vrai, heureux, puisque, quelques jours avant sa disgrâce, il avait uni légalement à sa vieillesse flétrie la jeunesse de Mlle de Castellane. Là fut le terme de sa carrière, et ce fut une preuve de plus que la première habileté est la rectitude et la loyauté. Talleyrand devait faire la même expérience. En vain il se flattait d’avoir débarrassé de Fouché la scène politique. « Et l’autre ? » disait-on déjà en le désignant ; il voulut frapper un grand coup, offrit sa démission au roi. Celui-ci la retint d’une main qu’on croyait pour cela trop débile. Le ministère tout entier se retira.

Qui allait donc s’offrir pour prendre le redoutable fardeau de la défaite et les amers soucis de sa liquidation ? M. Decazes qui, comme préfet de police, approchait le roi, lui recommanda M. de Richelieu, revenu, la veille, de l’émigration, homme de conscience et de cœur, et qui, en l’occurrence, trouvait en l’amitié d’Alexandre un titre peut-être supérieur à tous les autres. M. de Richelieu accepta. Il prit avec lui MM. Decazes (ministère de la police), duc de Feltre (guerre), Dubouchage (marine), Barbé-Marbois (justice), Corvetto (finances), de Vaublanc (intérieur). M. de Richelieu se réservait les affaires étrangères. Tous étaient des émigrés, sauf M. Decazes, sauf Corvetto, d’origine italienne, serviteur irréprochable de l’Empire. M. de Richelieu se mit à l’œuvre. Du premier coup, il put emporter un succès appréciable. On réduisit l’indemnité de 100 millions ; on nous laissa Condé, Givet, les forts de Joux et de l’Écluse ; on limita l’occupation à cinq