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ans, avec possibilité de dégarnir la France au terme de trois années. Mais hélas ! les requêtes n’étaient pas closes : les alliés réclamaient en outre 735 millions comme indemnités à eux dues pour les frais de la guerre depuis 1792. Au total 1 235 millions, soit près de quatre milliards de notre monnaie actuelle. C’était trop et les puissances le comprirent vite : elles abaissèrent leurs prétentions soudainement, et on décida que, sur les 700 millions, on remettrait 100 millions à tous les États autres que les puissances. On a calculé que cela faisait 425 fr. 50 par soldat !

C’est sur ces bases que le traité du 20 novembre fut signé : les cessions territoriales se bornaient à quelques villes et à une population de 435 000 âmes. Il est vrai que le traité du 23 avril 1814 ayant déjà dépouillé la France, il lui était difficile, à moins de la frapper dans sa substance même, d’aller plus avant. Mais on la ruina. Elle dut payer 700 millions d’indemnités, plus 400 millions que lui avait coûtés l’occupation de 1 145 000 soldats, plus 400 millions que lui coûta l’occupation jusqu’en 1818 de 150 000 hommes commandés par Wellington, plus l’inscription d’une rente de 3 millions au Grand Livre pour dédommager l’Angleterre de la perte des valeurs mobilières confisquées sur des sujets anglais depuis 1793, soit 70 millions de capital, en tout 1 570 millions, c’est-à-dire six milliards de notre monnaie, et sans compter les frais de guerre pour notre propre armée… C’était là le résultat des Cent-Jours, l’aboutissant de cette aventure dont chaque journée devait coûter 55 millions à la France, sans compter l’envahissement, la souillure permanente de cette marée qui ne se retire, lourde de butin, qu’en 1818, sans compter les morts, qui s’élevaient, pour la seule France, à plus de quarante mille, sans compter, enfin, la réaction sinistre qui va faire expier à la France, à la liberté, au peuple, le forfait retentissant d’un seul.

Le 7 octobre, la Chambre s’était réunie pour entendre un discours du roi. Louis XVIII y peignit ses peines et rappela la Charte à laquelle toute l’assemblée et la maison de Bourbon prêta fidélité. C’est le 26 novembre seulement que M. de Richelieu présenta officiellement à la Chambre les conventions que nous venons d’analyser et qui sanctionnaient le désastre. Le 26 septembre, deux mois auparavant, Alexandre, revenu dans ses États, avait offert à la signature des puissances et de la France une sorte de document mystique où cet esprit, ébranlé déjà, déclarait que la paix devait être universelle, en des formules quasi-religieuses : ce fut la Sainte-Alliance où la France accepta d’entrer, sans que le roi sentît l’ironie sinistre d’une fraternelle réunion avec les vainqueurs inexorables dont la main, fatiguée de frapper, changeait le glaive pour la plume. Metternich, dont l’esprit net ne comprenait rien à ces affirmations, résista et dut se résigner. Wellington refusa la signature de l’Angleterre. La seule conséquence pratique de ce traité fut qu’il prévoyait entre les alliés des réunions qui furent plus tard les congrès d’Aix-la-Chapelle, de Troppau, de Leybach et de Vérone.