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détesté, pour le rétablissement de la république, mais aussi peut-être pour la fin de la misère prolétaire, pour la Révolution sociale.


CHAPITRE VII


VERS LA RÉVOLUTION SOCIALE


C’est de l’année 1868 que date vraiment le grand mouvement républicain et révolutionnaire qui devait tôt ou tard emporter l’Empire. Jusqu’alors, les petits groupes républicains se trouvaient plus ou moins réduits à un travail de termites, minant lentement et sourdement l’édifice impérial, ouvrant les brèches par où passaient soudain les candidats de gauche, hostiles à l’autorité. Les groupements ouvriers réunissaient les militants, rien de plus ; ils ne voyaient point venir à leurs appels ces masses anonymes, incertaines et flottantes, mais ; dont les flottements mêmes révèlent l’influence exercée, indiquent l’action nécessaire.

A partir de 1868, comme subitement, la scène change. C’est à des foules réveillées que les républicains et les socialistes vont s’adresser. Désormais, l’Empire apparaît à tous comme condamné. Question de temps seulement ; mais nul ne doute que tôt ou tard le gouvernement du 2 Décembre ne succombe. « Les temps sont proches ! » ; c’est l’idée commune, celle qu’on retrouve alors jusque dans les lettres intimes. De juin 1868 à juillet 1870, ce sont des mois d’activité intense, des mois de fièvre, d’inquiétude et d’enthousiasme que nos pères ont vécu. Inquiétude des intrigues et des manœuvres parlementaires, ministérielles ou policières, par lesquelles l’Empire ébranlé tente de se consolider ; inquiétude surtout de ces bruits de guerre, qui retentissent de temps à autre, en avril 68, en octobre 68, en mars 69, et qui viennent rappeler aux républicains que c’est dans les conflits extérieurs que les despotismes menacés ont toujours cherché des moyens de se rétablir. Mais aux heures de réunion ou dans les jours de grande manifestation, lorsque tout Paris tressaille, lorsque la capitale semble déjà en état révolutionnaire, la confiance revient à tous les cœurs : les temps sont proches !

Quels temps ? — Ceux de la République sans doute. — Mais quelle République ? La République organisée et rassurante que tâchent de définir et de régler Gambetta et ses amis ? La République jacobine et conventionnelle de Delescluze ? Ou bien déjà, tout de suite, la République sociale, la République de justice et d’égalité ? Qui sera à la pointe de la bataille Qui entraînera les foules déchaînées ? Dans la lutte qu’ils mènent en commun, c’est la préoccupation de tous. Il ne faut pas que la Révolution surprenne, comme celle de 1848 ; il faut, ennemis de l’Empire, que nous soyions prêts à prendre le pouvoir, prêts à organiser la société. Et, dans cette heure de force et d’élan, sans qu’elle affaiblisse la bataille générale, la dis-