Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/341

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unanime se préparait à voter à Rome l’infaillibilité pontificale et l’érection en principes des négations du Syllabus. Par quelle bizarre contradiction, à ce moment précis, le gouvernement en venait-il à réaliser des réformes libérales ?

La versatilité impériale est connue. Napoléon III n’avait jamais été l’homme que des demi-décisions : l’influence cléricale elle-même devait réveiller en lui ses vieux instincts libéraux. Ce fut surtout à cette époque que le démocrate sincère qu’était Duruy se sentit le plus intimement d’accord avec lui, contre les Chambres elles-mêmes ou les autres ministres. Puis, les crises de maladie se succédaient plus fréquentes, rendant plus pénibles encore les résolutions à prendre, plus lourdes les responsabilités. Tout poussait l’Empereur à se décharger : la lutte, tout près de lui, de ces influences opposées, avec lesquelles il ne savait même plus ruser et dont il se sentait devenir la proie, les difficultés successives où s’embarrassait sa politique et ses échecs presque ininterrompus, enfin l’espérance d’apaiser quelques revendications, de regagner quelques partisans par des concessions qu’il estimait opportunes. Peu à peu, malgré Rouher, l’Empereur se trouvait enclin à écouter les conseils d’Ollivier, et d’autant plus que les imaginations naïves et persévérantes du député libéral lui fournissaient le moyen de se faire encore illusion, de se duper lui-même. A l’heure où son pouvoir ébranlé chancelait, à l’heure où, pour des raisons intérieures et sous l’effort de l’opposition croissante, le régime autoritaire craquait de toutes parts, les réformes libérales devaient faire illusion, faire croire à tous et à l’Empereur lui-même que, l’ordre établi, l’heure de la liberté venait de sonner et que l’édifice, selon la formule fameuse, allait recevoir son couronnement. Quelques mois avant les lois libérales, notons-le bien, la loi de réforme militaire avait été votée en février ; après une vive opposition du parti républicain qui redoutait de fournir à son ennemi de nouvelles armes, la Chambre avait concédé au gouvernement le service de neuf ans, divisé en deux périodes, cinq ans d’année active et quatre ans de réserve, ce qui devait donner 800.000 hommes. Dans la loi militaire, comme dans les lois libérales, c’était un renouvellement de forces que l’Empire s’efforçait de trouver.

Dans les deux domaines, il était trop tard. Le gouvernement n’avait plus le prestige nécessaire pour faire accepter à la nation les sacrifices qu’il lui demandait ; il était devenu trop faible pour empêcher que les libertés, ainsi restituées par lui, ne fussent mises en œuvre contre lui.

Il ne tarda pas à s’en apercevoir par l’usage qui fut fait des demi-libertés concédées à la presse. La loi était à peine promulguée que les journaux républicains se multiplièrent. Les élections approchaient ; elles devaient en effet avoir lieu en mai 1869. De bons instruments de propagande étaient nécessaires. A côté des vieux organes, du Siècle, de l’Opinion Nationale (1859), du Temps (1861), et de l’Avenir National que publiait depuis 1865 le vieux républicain anti-clérical Peyrat, de nouveaux parurent : il y eut la Tribune,