Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/183

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Majesté, en même temps qu’elle donne occasion à l’accomplissement d’un acte dont les conséquences ne peuvent être qu’avantageuses aux destinées de l’Europe.

« Je désirerais que le traité qui doit consacrer l’alliance puisse se conclure promptement ; mais, d’un côté, je comprends que, par suite des modifications introduites dans le gouvernement de la France, Votre Majesté soit dans le cas de devoir en retarder la stipulation, tandis que, de mon côté, je ne pourrai prendre un engagement formel à ce sujet avant que la convention du 15 septembre 1864, relative aux États du Saint-Siège, ait de nouveau reçu, de part et d’autre, sa pleine et entière exécution.

« Je hâte de mes vœux le moment où ces accords pourraient être définitifs. En attendant, je prie Votre Majesté d’agréer l’assurance des sentiments de haute estime et de sincère amitié avec lesquels je suis de Votre Majesté Impériale le bon frère.

« Victor-Emmanuel. »

Cette lettre a été écrite vers le 24 ou le 25 septembre 1869, quelques jours après le sénatus-consulte qui ouvrait l’ère de « l’Empire libéral ». Quand M. Émile Ollivier arriva au pouvoir, le 2 janvier 1870, connut-il cette lettre ? Connut-il du moins le point où était parvenue la négociation et les termes généraux de l’accord préparé ? Il serait inexcusable s’il avait assumé la responsabilité gouvernementale, en des temps si difficiles, sans s’informer exactement auprès de l’Empereur de la situation européenne. Dès lors, pour être fidèle à lui-même et à sa politique, il devait dire deux choses à Napoléon : La première, c’est qu’il serait déraisonnable et injuste de considérer l’effort de la Prusse et de la Confédération du Nord pour unifier toute l’Allemagne comme une agression contre la France et comme un casus fœderis faisant jouer la Triple Alliance. Ce n’est pas l’Italie qui se refuserait à cette large interprétation des accords conclus : car il ne lui était pas agréable de s’exposer à un conflit avec la Prusse, dont elle avait été l’alliée en 1866, et elle n’avait pas à redouter l’unité allemande.

L’Autriche exigerait-elle du moins que le maintien du traité de Prague, qui séparait l’Allemagne du Sud de l’Allemagne du Nord, servît de base à l’alliance des trois États ? Certes, M. de Beust se plaisait à espérer qu’il humilierait un jour ou qu’il gênerait M. de Bismarck, mais ces plaisirs d’imagination qu’il s’offrait n’allaient pas jusqu’aux grandes et dangereuses résolutions. Le ministre autrichien était un frôleur de pensées hardies, mais qui ne passait pas volontiers à l’acte. Il lui aurait été agréable, ne fût-ce que pour mater et vexer un rival, de rendre à l’Autriche quelque ascendant en Allemagne. Mais il ne voulait pas pour cela risquer une guerre. Il ne le pouvait pas, car il n’était pas sûr que les sujets allemands de l’Autriche se prêtassent à cette aventure, et que les sujets hongrois ne saisissent pas l’occasion de faire payer, par des concessions nouvelles, leur concours toujours précaire et