Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/184

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toujours marchandé. Aussi bien le souci de ménager la France pour obtenir au besoin son aide sympathique dans les affaires orientales était pour beaucoup dans l’attachement de M. de Beust au traité de Prague. Que la France y renonçât, lui-même sans doute ne s’obstinerait point. Alors la Triple Alliance avait un intérêt véritable pour la paix de l’Europe. Elle permettait à l’unité allemande de se former sans conflit, le jour où les États du Sud s’y décideraient, et elle créait, par le groupement amical de trois grands États, une telle puissance que l’Allemagne nouvelle, même appuyée sur la Russie, ne pouvait devenir un danger pour les autres peuples ou céder à une tentative de violence et à une ivresse d’ambition.

Mais il est une chose que M. Émile Ollivier, en tout cas, devait dire à l’Empereur : c’est que jamais le concours de l’Italie ne serait assuré, même pour une guerre défensive, si la France ne renonçait pas à intervenir à Rome. M. Émile Ollivier avait toujours séparé l’intérêt catholique du pouvoir temporel. Même après Mentana, il avait, en un discours véhément, glorifié l’unité italienne, affirmé que ce que les peuples d’Italie acclamaient en Garibaldi, c’était l’image adorée de la patrie. Il avait proclamé, du haut de la tribune, que le pouvoir temporel se condamnerait lui-même si le pape ne retirait pas les déclarations absolutistes du Syllabus. Or, voici qu’en cette même année 1870, et précisément à l’heure où M. Émile Ollivier occupait le pouvoir, le pape obligeait l’Église universelle, réunie en un Concile, à ratifier ses doctrines d’absolutisme et à les sanctionner par l’infaillibilité pontificale. Pour la première fois, la papauté avait écarté de ces grandes assises catholiques les représentants laïques des États. Et M. Émile Ollivier s’écriait que c’était la séparation de l’Église et de l’État prononcée par le pape lui-même. Que M. Émile Ollivier se refusât à répondre par un acte d’hostilité gouvernementale à cette intransigeance catholique, qu’il se refusât à peser sur le Concile, qu’il laissât les évêques français libres de s’y rendre, soit ; ce pouvait être une conception habile et sage de la neutralité des États modernes dans toutes les discussions dogmatiques ; et, en ce sens, la hautaine et libérale indifférence témoignée par M. Émile Ollivier répondait mieux à l’esprit des temps nouveau, que le gallicanisme attardé de quelques-uns de ses collègues. Oui, mais à condition que l’État, renonçant à imposer des chaînes, se refusât à en porter, à condition qu’il ne se fît pas à Rome le gardien de l’absolutisme papal contre les citoyens romains et contre l’unité italienne.

M. Émile Ollivier a dit, bien plus tard, que l’honneur commandait à son gouvernement de ne pas abandonner le pape. L’honneur commandait à M. Émile Ollivier d’être fidèle à ses propres idées. L’honneur lui commandait de ne pas mettre plus longtemps la force de la France au service d’une domination temporelle qui ne pouvait s’exercer que selon les principes de l’absolutisme le plus outrageant. Et si cet honneur politique de M. Émile Ollivier était, par surcroit, conforme à l’intérêt vital de la France, si, en restant fidèle à sa