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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/120

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de la campagne, avec les négociants, avec les aubergistes. Voyez-vous que de telles paroles sont insensées au dernier point ? Car si, au bout du compte, ce besoin du secours d’autrui vous paraît quelque chose de si terrible, premièrement il est impossible de s’y soustraire absolument ; en second lieu, si vous voulez du moins fuir la foule, car ceci est possible, alors, vous réfugiant dans le port sans tourmente de la pauvreté, rompez avec le tumulte si compliqué des, affaires, mais gardez-vous de considérer comme honteux, d’avoir besoin des autres : car c’est ici l’ouvrage de la sagesse ineffable de Dieu. Voyez en effet : nous, avons besoin les uns des autres, et ce n’est pas encore assez de ces liens nécessaires pour nous réunir par ceux de l’amitié ; eh bien ! si chacun de nous pouvait se suffire à soi-même, ne serions-nous pas des bêtes féroces que rien ne pourrait apprivoiser ? Dieu nous a donc placés sous une dépendance mutuelle parla contrainte et la nécessité, et chaque jour nous nous froissons les uns contre les autres. Si Dieu nous eût retiré ce frein, qui de nous eût recherché de longtemps l’amitié de son prochain ? Gardons-nous donc de considérer ce besoin comme une honte, et ne disons pas dans nos prières : Préserve-nous d’avoir besoin de personne ; mais demandons-lui ceci : Ne permets pas que, lorsque nous serons dans le besoin, nous repoussions ceux qui peuvent nous secourir. Ce qui est méprisable, ce n’est pas d’avoir besoin des autres, mais c’est de ravir ce qui appartient à autrui. Eh bien ! pourtant nous ne prions jamais à ce dernier sujet, jamais nous ne disons : Préserve-moi de désirer le bien des autres ; et pour ce qui est d’avoir, besoin d’eux, nous croyons, devoir en demander à Dieu l’affranchissement. Pourtant saint Paul se trouva souvent dans le besoin, et il n’en rougissait pas ; au contraire, il s’en vantait, et il faisait dans les termes suivants l’éloge de ceux qui lui avaient rendu service : « Car une première et une seconde fois vous m’avez envoyé de quoi m’aider dans mes besoins » (Phil. 4,16) ; et ailleurs : « J’ai dépouillé les autres Églises, en recevant de quoi vivre pour vous servir ». (2Cor. 11,8) Rougir de cela, ce n’est donc pas de la dignité, mais de la faiblesse, c’est le fait d’une âme sottement fière, d’un esprit déraisonnable. En effet, Dieu juge à propos que nous ayons besoin les uns des autres. Ne poussez donc pas votre sagesse au-delà des bornes. Mais, dira-t-on, je ne puis souffrir un homme à qui je fais des prières réitérées, et qui n’y accède point. Et comment donc Dieu te souffrira-t-il, quand il t’exhorte et que tu ne te rends pas, et cela, lorsqu’il t’exhorte dans ton propre intérêt ? « Car nous, sommes les délégués du Christ », dit l’apôtre, « de sorte que c’est Dieu qui vous adresse par notre organe cette exhortation : Réconciliez-vous avec Dieu ». (2Cor. 5,20) Mais, direz-vous, je ne laisse pas d’être le serviteur de Dieu. Comment, cela ? Quand vous, le prétendu serviteur, vous vous enivrez, et que lui, le Maître, souffre de la faim, et n’a pas même la nourriture nécessaire, en quoi pourra vous protéger le titre de serviteur ? Il ne fera au contraire que vous charger davantage, lorsque vous aurez demeuré dans vos palais à triple étage, tandis que votre maître n’avait pas même un abri suffisant ; quand vous aurez couché sur des lits moelleux, tandis qu’il n’avait pas même ou reposer sa tête. On me dira encore : Eh bien ! j’ai donné. Oui, mais il ne faut pas s’arrêter dans cette voie. Car cette raison ne sera bonne que lorsque vous n’aurez plus de quoi donner, que vous ne posséderez plus rien. Tant que vous aurez quelque chose, eussiez-vous donné à dix mille personnes, s’il y a encore des gens qui ont faim, vous n’aurez pas de bonne raison à faire valoir.
Et si vous accaparez le blé, si vous le faites enchérir, si vous imaginez d’autres moyens insolites de, trafic, quel espoir de salut vous restera-t-il ? Dieu vous a prescrit de donner gratuitement à celui qui a faim, et vous ne le faites même pas quand vous recevez un prix en proportion ; il s’est lui-même pour vous, dépouillé de tant de gloire, et vous ne daignez pas même lui donner du pain : votre chien est rassasié, et Jésus-Christ meurt de faim ; votre serviteur est gorgé de mets jusqu’à étouffer, et votre Maître et le sien manquent de la nourriture nécessaire. Est-ce là se conduire en ami ? Réconciliez-vous donc avec Dieu ; car votre manière d’agir a été celle d’un ennemi, d’un ennemi juré. Rougissons donc de tous les bienfaits que nous avons reçus, de tous ceux que nous recevrons encore ; et quand un pauvre s’approche de nous en nous demandant l’aumône, accueillons-le avec une grande bienveillance, le consolant, l’encourageant par nos paroles, afin que nous éprouvions