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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/131

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chose à celui qui vous sauve et vous ennoblit ? Ah ! vous savez bien dépenser de l’argent pour votre gourmandise, votre ivrognerie, votre luxure ; et jamais vous ne songez à là pauvreté : quand il vous faut venir en aide à un pauvre, vous devenez tout à coup plus pauvre que personne au monde : s’agit-il de nourrir des parasites et des flatteurs, vous vous en donnez à cœur joie, comme si vous puisiez la richesse à une source intarissable ; mais vous arrive-t-il de voir un pauvre, alors la crainte, de la pauvreté s’empare de vous. C’est pour, cela que nous serons condamnés un jour, et par nous-mêmes et par les autres ; tant justes que pécheurs. Car on vous dira : Pourquoi n’avez-vous pas montré la même libéralité dans les choses convenables ? Voici un homme qui, pour donner à une courtisane, n’a pas réfléchi à tout cela ; et vous, pour offrir quelque secours à ce divin Maître qui vous a recommandé de n’avoir aucune inquiétude, vous voilà plein de trouble et de crainte. Quelle indulgence méritez-vous ? Si un homme à qui vous faites du bien n’y reste pas indifférent, mais sait vous en tenir compte, à plus forte raison Jésus-Christ agira-t-il ainsi. Lui qui vous donne avant d’avoir rien reçu de vous, comment ne vous donnerait-il pas, quand il aura reçu quelque chose de vous ?
Eh quoi ? direz-vous, quand je vois des gens qui après avoir tout sacrifié, non seulement ne reçoivent rien en retour, mais ont ensuite eux-mêmes besoin d’autrui ? A cela je répondrai : Vous me parlez là de ceux qui ont donné tous leurs biens, tandis que vous ; vous ne donnez pas même une obole. Engagez-vous à vous dépouiller de tout, et vous demanderez ensuite comment font les autres ; mais tant que vous serez avare, et que vous ne donnerez qu’une très-faible portion de votre avoir, pourquoi toutes ces allégations, tous ces prétextes ? Nous ne vous poussons pas jusqu’aux dernières limites de l’indigence, nous vous prions seulement de vous retrancher le superflu, et de vous contenter de ce qui suffit. Ce qui est suffisant, c’est ce dont on ne peut se passer pour vivre. Personne ne veut vous enlever cela, on ne veut pas vous interdire votre nourriture de chaque jour ; mais je dis nourriture et non pas délices[1] ; je dis vêtement, et non pas parure. Et même, en y regardant bien, c’est là précisément que sont les délices. Car voyez : lequel des deux jugerons-nous être dans les plus grandes délices, de celui qui se nourrissant de légumes, jouit de la santé, et n’éprouve aucune souffrance, au de celui qui, avec une table digne des Sybarites, est accablé d’une foule de maladies ? Évidemment c’est le premier. Eh bien donc, ne cherchons pas plus loin, si nous voulons à la fois vivre dans les délices et avoir la santé ; que ce sait là pour nous la mesure de ce qui suffit. Tel se porte bien en ne mangeant que des légumes secs, qu’il rie cherche pas autre chose ; tel autre, d’une santé plus faible, a besoin d’un régime d’herbes et de racines : on ne s’y oppose point. Si enfin le tempérament d’un troisième, plus délicat encore, exige l’usage modéré de la viande, nous ne la refuserons pas non plus. Car nos conseils n’ont pas pour but la perte et la destruction des hommes, mais le retranchement du superflu ; or le superflu, c’est ce qui dépasse nos besoins. Or, lorsque nous pouvons nous passer d’une chose, sans nuire à notre santé ni aux convenances ; c’est une addition tout à fait superflue.
4. Calculons de la sorte à l’égard de notre habillement, de notre table, de notre demeure, et de tout le reste, et ne cherchons en tout que le nécessaire. En effet, le superflu est même inutile. Et quand vous aurez travaillé à vous contenter de ce qui suffit, et qu’alors vous voudrez imiter la veuve de l’Évangile, nous vous initierons à une plus grande perfection. Car vous n’êtes pas arrivé à la haute sagesse de cette femme, tant que vous êtes préoccupé du nécessaire. Elle s’était élevée encore au-dessus : elle avait sacrifié tout ce qui devait la nourrir. Et vous contesteriez encore sur la question du nécessaire ? vous n’auriez pas honte d’être vaincu par une femme ? Et loin de chercher à l’imiter, quelle supériorité ne lui laissez-vous pas sur vous ? Elle ne disait pas comme vous autres : Eh quoi ? si après avoir tout donné, j’étais forcée d’avoir recours aux autres ? Non, elle s’est dépouillée avec libéralité de ce qu’elle possédait. Et que diriez-vous de la veuve de l’Ancien Testament, du temps du prophète Élie ? (1R. 17) Celle-là ne courait pas seulement le risque d’être pauvre, mais elle était en danger de mourir, de perdre la vie, et non pas elle toute seule, mais encore ses enfants. En effet, elle

  1. Il y a dans le grec un jeu de mots intraduisible sur τροφὴν et τρυφὴν