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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/245

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de tels serviteurs, exempts de tout sentiment d’envie et jouissant mutuellement de leur bonheur. Et que parlé-je d’un frère ? Quand même celui par qui Dieu se glorifie serait votre ennemi, vous devriez, à cause de cela même, vous en faire un ami : et, au contraire, d’un ami vous vous faites un ennemi, parce que Dieu tire sa gloire de ses bonnes actions. Si quelqu’un guérissait votre corps d’une maladie, cet homme fût-il votre ennemi, prendrait dès lors le premier rang parmi vos amis ; et si quelqu’un embellit le corps du Christ, c’est-à-dire l’Église, d’ami qu’il était vous vous en faites un ennemi ? Et de quelle autre manière pourriez-vous déclarer la guerre, au Christ ? C’est pourquoi, tout homme entaché de ce vice, fît-il d’ailleurs des miracles, fût-il vierge, jeûnât-il, couchât-il sur la dure, et par là égalât-il la vertu des anges, est le plus scélérat des hommes, est plus criminel que l’adultère, que le fornicateur, que le voleur, que le violateur des tombeaux.
6. Et pour que personne ne m’accuse d’exagération, je vous poserai volontiers une question. Si quelqu’un prenant une torche et un hoyau, venait brûler ce temple et miner cet autel ; chacun de ceux qui sont ici ne le lapiderait-il pas comme sacrilège et criminel ? Quel pardon méritera donc celui qui porte une flamme bien plus dévorante, l’envie veux-je dire, une flamme qui ne consume pas un édifice de pierre, un autel d’or, mais qui renverse et détruit quelque chose de bien plus précieux que des murailles et qu’un autel, l’édification, fruit de l’enseignement des maîtres ? Et qu’on ne me dise pas que les efforts de l’envieux sont souvent sans résultat. On doit juger d’après l’intention, et bien que Saül n’ait pas tué David, il n’en est pas moins homicide. Vous ne pensez donc pas, dites-moi, que quand vous combattez contre le pasteur, vous tendez des pièges aux brebis : à ces brebis pour lesquelles le Christ a versé son sang, pour lesquelles il nous ordonne de tout faire et de tout souffrir ? Vous ne vous rappelez donc pas que votre maître a cherché votre gloire et non la sienne, tandis que vous ne cherchez point la sienne, mais la vôtre ? Et pourtant vous trouveriez la vôtre en cherchant la sienne ; et en cherchant la vôtre avant la sienne, vous ne la trouverez point.
Quel sera donc le remède à ce mal ? Prions tous ensemble, prions tous d’une voix pour ces malheureux, comme pour des énergumènes. Ils sont même plus à plaindre que des énergumènes, parce que leur mal est volontaire. Il faut, pour le guérir, des prières, beaucoup de supplications. Si celui qui n’aime pas son frère, ne peut acquérir aucun mérite, donnât-il tout ce qu’il possède, souffrit-il le martyre ; songez quel sera le – châtiment de celui qui déclare la guerre à un homme qui ne lui a point fait de mal. Il est pire que les païens. Car si, en aimant ceux qui nous aiment, nous ne faisons rien de plus que les païens, où placer, je vous le demande, celui qui porte envie à ses amis ? La jalousie est même pire que la guerre. En effet, dès que le motif de la guerre a cessé, celui qui la faisait, dépose ses sentiments d’hostilité ; mais l’envieux ne devient jamais ami. Le premier fait une guerre ouverte, le second une guerre cachée ; celui-là a souvent de justes motifs, celui-ci n’en a pas d’autre que sa fureur et sa volonté diabolique. A quoi comparer une telle âme ? A quelle vipère ? à quel aspic ? à quel ver ? à quelle mouche venimeuse ? Rien de plus scélérat, rien de plus méchant qu’elle. Voilà ce qui détruit les Églises, voilà la source des hérésies ; voilà ce qui arma la main d’un frère, le détermina à se baigner dans le sang du juste, viola les lois de la nature, ouvrit la porte à la mort, consomma la malédiction première, fit perdre de vue à cet infortuné sa propre naissance, le souvenir de ses parents et de tout le reste, et poussa sa fureur et sa folie au point qu’il ne cédât pas même à la voix de Dieu qui lui disait : « Son recours sera en toi et tu le domineras[1] ». (Gen. 4,7) Pourtant Dieu lui remettait son péché et lui soumettait son frère ; mais cette maladie est si difficile à guérir, que, malgré l’application de mille remèdes, elle jette encore son venin.
De quoi donc souffres-tu, ô le plus misérable des hommes ? De ce que Dieu est honoré ? Mais c’est une disposition satanique. De ce que ton frère est considéré ? Mais tu peux le dépasser. Que si tu veux l’emporter sur lui, ne le tue pas, ne le fais pas disparaître ; laisse-le vivre, pour avoir un motif d’émulation et triompher d’un être vivant ; par là la couronne sera brillante un jour ; mais en lui donnant la mort aujourd’hui, tu te prépares une sentence pire

  1. C’est ainsi que saint Chrysostome entend ce passage ; voir la XVIIIe homélie sur la Genèse.