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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/301

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que nous sortions de notre chair, que nous nous suicidions, pour nous conduire à la vertu ? Voyez-vous que d’absurdités s’ensuivraient, si nous prenions les expressions à la lettre ? Ici, par chair, l’apôtre n’entend pas le corps, ni la substance du corps, mais la vie charnelle et mondaine, livrée complètement à la volupté et à la débauche et qui transforme en chair l’homme tout entier. Car, de même que ceux à qui l’esprit donne des ailes, rendent leur corps spirituel ; ainsi ceux qui repoussent l’esprit et sont esclaves de leur ventre et de la volupté, transforment leur âme en chair, non pas en changeant sa substance, mais en détruisant sa noblesse. Souvent cette métaphore est employée même dans l’Ancien Testament, où le nom de chair désigne une vie grossière, fangeuse, plongée dans des voluptés coupables. Dieu dit à Noé : « Mon esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu’ils sont chair ». (Gen. 6,3) Pourtant Noé aussi était revêtu de chair ; mais là n’était point le crime, puisque c’est dans la nature ; le mal, c’était d’avoir embrassé la vie charnelle.
Aussi Paul dit-il : « Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », et il ajoute : « Pour vous, vous n’êtes point dans la chair, mais dans l’esprit… (9) » ; entendant ici non simplement la chair, mais la chair entraînée, tyrannisée par les passions. Mais, dira-t-on, pourquoi ne s’est-il pas exprimé ainsi et n’a-t-il pas fait1a différence ? Pour élever l’auditeur, et faire voir que celui qui vit bien n’est, pour ainsi parler, plus dans son corps. En effet, puisqu’il est évident pour tout le monde que celui qui est dans le péché n’est pas spirituel, l’apôtre établit quelque chose de plus, à savoir que l’homme spirituel non seulement n’est pas dans le péché, mais pas même dans la chair, et par là même est devenu un ange, s’élevant vers le ciel et portant, simplement une enveloppe de chair. Que si vous accusez là chair, parce que Paul donne son nom à la 'vie charnelle, vous accuserez aussi le monde, parce que souvent on désigne le vice sous son nom, comme quand le Christ dit à ses disciples : « Vous n’êtes point de ce monde » (Jn. 15,19) ; et encore, à ses frères : « Le monde ne peut pas vous haïr ; pour moi il me hait ». (Id. 7,7) Et il faudra dire aussi que l’âme est étrangère à Dieu, parce que Paul a appelé animaux ceux qui vivent dans l’égarement. Non, non, il n’en est pas ainsi. Ce n’est pas simplement aux expressions qu’il faut s’en tenir, mais à l’intention de celui qui parle ; il faut saisir exactement la différence des termes. Il y a des choses bonnes, des choses mauvaises et des choses indifférentes ; au nombre de ces dernières sont l’âme et le corps, qui peuvent devenir bons ou mauvais ; mais l’esprit est toujours bon et ne peut jamais cesser de l’être. D’un autre côté, la prudence de la chair, c’est-à-dire, une action mauvaise, est toujours mauvaise : car elle n’est point soumise à la loi de Dieu. Si donc vous livrez votre âme et votre corps au bien, vous partagerez le sort du bien, si vous les livrez au mal, vous aurez part à sa ruine, non par la nature de l’âme et de la chair, mais à raison de votre propre volonté qui était libre de choisir l’un ou l’autre. Qu’il en est ainsi, et que Paul n’a point calomnié la chair, nous en aurons une, preuve plus sensible, en reprenant le texte : « Pour vous, vous n’êtes point dans la chair, mais dans l’esprit ».
8. Quoi donc ! Ils n’étaient point dans la chair ? Ils marchaient sans corps ? Est-ce possible ? Voyez-vous que l’apôtre fait ici allusion à la vie charnelle ? Et pourquoi n’a-t-il pas dit : Vous n’êtes pas dans le péché ? Pour vous apprendre que le Christ a non seulement détruit la tyrannie du péché, mais aussi rendu l’âme plus légère et plus spirituelle, non en changeant sa nature, mais plutôt en lui donnant des ailes. Comme le fer, au milieu du feu, devient feu, tout en gardant sa nature propre ; ainsi la chair des fidèles et de ceux qui ont l’esprit, prend l’énergie même de l’esprit et devient toute spirituelle, étant entièrement crucifiée et s’élevant comme l’âme, sur des ailes. Tel était le corps de celui qui tenait ce langage. Aussi prenait-il en pitié toutes les voluptés et toutes les délices ; il mettait son bonheur dans la faim, dans la flagellation, dans la captivité, et n’en ressentait aucune souffrance. C’était ce qu’il entendait quand il disait : « Nos courtes et légères tribulations ». (2Cor. 4,17) Il avait si bien maté sa chair qu’elle allait du même pas que l’esprit. « Si toutefois l’Esprit de Dieu habite en vous ». Souvent ce terme de « Si toutefois », n’est pas chez lui une expression de doute, mais de foi ferme, et signifie « Puisque » ; comme quand il dit : « Si toutefois il est juste devant Dieu qu’il rende l’affliction à ceux qui vous affligent » (2Thes. 1,6) ;