Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

blessures étaient promptes et cuisantes. Et cependant, malgré tant de pensées armées contre lui, son âme était calme, et toutes ces pensées, rangées en bon ordre, l’honoraient, au lieu de le terrifier. Voyez-le donc brandir son épée ; et comparez-lui qui vous voudrez, un Auguste, un César. Non, ils ne peuvent soutenir le parallèle, et leur attitude est moins sublime, moins digne des cieux.
C’est de la plus violente tyrannie que ce juste a su triompher. Quoi de plus tyrannique que la nature ? Rassemblez par la pensée tous ceux qui ont donné la mort à quelque tyran, vous n’en trouverez aucun qui lui puisse être comparé. Cette victoire était plutôt la victoire d’un ange que celle d’un homme. Voyez en effet ! Là nature est terrassée malgré ses armes, malgré ses légions ; et lui se tient debout ; le bras levé, ayant, non pas une couronne, mais un glaive dont l’éclat surpasse celui des couronnes ; la troupe des luges applaudissait, et du haut des cieux Dieu le proclamait vainqueur. Toute son âme se portait vers les cieux, et c’est de là aussi que lui vint son triomphe. Quel triomphe est plus glorieux ; ou plutôt quel triomphe est comparable à celui-ci ? Aux jeux Olympiques, si, au lieu d’un héraut, le roi lui-même se levant de son trône eût proclamé le vainqueur, l’athlète n’eût-il pas été plus fier de cet hommage que de toutes ces couronnes, et n’eût-il pas attiré bien mieux sur lui tous les regards ? Ici ce n’est pas un roi mortel, c’est Dieu, qui proclame bien haut, non pas sur un théâtre de peu détendue, mais en présence de l’univers, en présence, des anges et des archanges, la victoire que vient de remporter Abraham. A quelle hauteur, je vous le demande, ce juste ne s’est-il donc pas élevé ?
Écoutons, si vous le voulez, la voix de Seigneur. Que disait-elle ? « Abraham, Abraham, n’étends point ton bras sur Isaac, ne lui fais point de mal. Je sais maintenant que tu crains le Seigneur, puisque pour moi, tu n’as pas épargné ton fils unique ». (Gen. 22,12) Que veut-il dire ? Celui qui sait toutes choses avant qu’elles aient lieu, commençait-il seulement alors : à connaître la foi d’Abraham ? Les hommes mêmes connaissaient sa piété : n’en avait-il pas donné une preuve éclatante, quand le Seigneur lui eut dit : « Sors de ton pays et de ta parenté » (Gen. 12,1) ; quand, en vue de la gloire de Dieu, il céda la place qu’il occupait au fils de son frère ; quand, sur l’ordre de Dieu, il se rendit en Égypte, où il se vit enlever son épouse, sans concevoir d’indignation, et dans tant d’autres circonstances ? Oui, les hommes eux-mêmes avaient appris par là à connaître la piété d’Abraham ; à plus forte raison Dieu ne l’ignorait pas, lui qui n’attend pas l’accomplissement des faits pour les savoir. Et comment l’eût-il déclaré juste, s’il n’eût apprécié sa justice ? « Abraham crut, dit l’Écriture, et sa foi lui fut réputée à justice ». (Rom. 4,3) Que signifient donc ces paroles : « Maintenant j’ai reconnu ? » Le texte syriaque porte : « Maintenant tu as fait connaître », sous-entendez : aux hommes, car moi je te connaissais, même avant de t’avoir intimé cet ordre. Pour quoi donc manifester sa foi aux yeux des hommes ? ses précédentes actions ne suffisaient-elles pas pour prouver son dévouement au Seigneur ? Sans doute elles suffisaient. Mais ce dernier acte d’obéissance est tellement supérieur aux autres qu’ils ne paraissent plus rien à côté de lui. Ce fut donc pour faire ressortir la grandeur de cette action et pour en montrer l’incomparable sublimité, que Dieu prononça ces paroles.
6. N’est-ce pas ainsi que s’expriment les hommes, en présence de quelque action d’éclat et qui l’emporte sur les précédentes ? Si, par exemple, on reçoit un présent d’une plus grande valeur que lés autres, ne dit-on pas : je n’en doute plus, il m’aime. Ses sentiments étaient bien connus par avance ; mais on veut exprimer par là que le dernier présent l’emporte en richesse sur tous ceux qui ont précédé. Dieu emprunte ici le langage des hommes, quand, il dit : « Maintenant je sais ». Ce qu’il veut faire entendre, c’est la grandeur du combat, et non pas seulement la certitude qu’il a de la crainte d’Abraham ou de l’étendue de cette crainte. S’il dit : « Venez, descendons et voyons » (Gen. 11,7) ; ce n’est pas qu’il ait besoin de descendre, lui qui remplit l’univers et à qui rien n’échappe ; mais il veut nous apprendre à ne point nous prononcer témérairement. De même aussi quand l’Écriture dit : « Dieu a regardé du haut du ciel » (Ps. 13,2), elle emprunte cette métaphore à notre manière de parler, et désigne par ces mots, une connaissance approfondie. De même en cet endroit le Seigneur dit : « Je sais maintenant » ; pour faire voir que cette marque de