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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/35

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soumission éclipse toutes les autres. Oui, elle éclipse toutes les autres, et la preuve se trouve dans les paroles qui suivent : « Parce que à a cause de moi tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé » ; non pas seulement : « ton fils » ; mais « ton fils bien-aimé ». Ce n’est pas seulement la nature que combat Abraham, mais encore cette tendresse si vive que lui inspiraient les mœurs et la rare vertu de cet enfant, Si les, parents ne peuvent se résoudre à repousser des fils dépravés, s’ils répandent des larmes sur eux ; que dire de, cette admirable sagesse d’Abraham, quand nous le voyons sur le point d’immoler son fils, son fils unique, son fils bien-aimé, Isaac en un mot ? Cette victoire n’est-elle pas mille fois plus glorieuse que tous les diadèmes, que toutes les couronnes ?
Celui qui porte une couronne ; se la voit enlever par les mains de la mort, et avant de mourir, mille dangers l’environnent. Pour Abraham, qui pourra d’entre ses proches, ou d’entre les étrangers, lui enlever, même après la mort, le diadème qui orne son front ? Mais contemplez le plus précieux des diamants qui le composent. Il s’y trouve placé en dernier lieu comme le plus riche de tous. Quel est-il donc ? Le voici : a à cause de moi ». Rien de bien admirable qu’il n’ait pas épargné son fils ; ce qu’il y a de plus digne d’admiration, c’est qu’il l’ait fait à cause de moi. O heureuse main ; quelle épée on te donne ! O admirable épée, à quelles mains on le confie ! O heureuse épée, à quelle œuvre on te destine ! quel ministère elle remplit, quel mystère elle figure ! Pourquoi est-elle teinte de sang, pourquoi n’est-elle pas teinte de sang ? Je ne sais plus que dire, tant ce mystère était redoutable. Elle n’effleura pas même la peau de l’enfant, elle ne s’enfonça point dans sa gorge, elle ne se teignit point de son sang ; ou plutôt elle frappa, elle s’enfonça, elle se couvrit de sang ; elle fut plongée dans le sang et n’y fut point plongée. Il vous semble que je m’égare en me contredisant de la sorte. Ah ! sans doute, je suis hors de moi, quand je contemple ce merveilleux spectacle, et cependant je ne me contredis point. Car la main de l’homme juste a enfoncé le glaive dans la gorge de l’enfant ; mais ce glaive, Dieu ne permit pas qu’il fût souillé du sang d’Isaac. Abraham n’était pas seul à le tenir ; Dieu le tenait en même temps qu’Abraham ; le patriarche l’enfonça par sa volonté ; Dieu le retint par sa parole. La voix de Dieu arma la main d’Abraham et la retint ensuite. Dieu commandait en maître ; soumise à ses ordres, elle les exécutait fidèlement, et se laissait diriger par sa voix. Voyez en effet : Dieu commande d’immoler ; elle s’arme aussitôt. Il dit ensuite : ne frappe pas ; aussitôt elle est désarmée : car alors l’épreuve était suffisante. Dieu devait désormais montrer à l’univers, à l’assemblée des anges, ce soldat, ce général victorieux, ce prêtre, ce roi, que son glaive couronne mieux que ne ferait un diadème, qui élève un brillant trophée, qui remporte une éclatante victoire, sans avoir eu d’ennemis à terrasser.
Un général, qui a sous ses ordres une vaillante armée, par son habileté, par sa seule attitude, par le seul aspect, de sa force, frappe son ennemi de terreur ; ainsi Dieu par la résolution, par les gestes, par l’attitude de l’homme juste, épouvante et met en fuite notre ennemi commun, le démon. Qui, à ce moment, le démon recula saisi d’effroi. Mais, dira-t-on, pourquoi Dieu ne permit-il pas que la main d’Abraham se teignît du sang de la victime, pourquoi rappelle-t-il Isaac àla vie ? C’est que Dieu ne pouvait accepter ce sang répandu ; un tel breuvage ne doit être servi que sur la table infâme des démons. A ce moment éclataient à la fois la bonté de Dieu et la vertu de son serviteur. Naguère il avait abandonné sa patrie ; maintenant il sacrifie jusqu’aux sentiments de la nature. Aussi obtint-il sa récompense, le capital et les intérêts, si je puis m’exprimer de la sorte, et à juste titre ; il aima mieux cesser d’être père que de manquer à ses devoirs de serviteur. C’est pourquoi non seulement il demeura père, mais il devint prêtre ; et comme il avait renoncé à ses propres avantages à cause de Dieu, Dieu se plut à l’enrichir de ses dons. Quand les ennemis dressent des embûches, il les laisse aller jusqu’au bout, et il fait un miracle. Mais quand c’est lui-même qui commande, il retire son ordre, dès que la bonne volonté s’est manifestée.
7. Eh bien ! je vous le demande, que manque-t-il à la générosité d’Abraham ? Le saint patriarche pouvait-il prévoir ce qui arriverait Savait-il quels étaient les desseins dé la divine miséricorde ? Il était prophète, je le veux bien ; mais les prophètes ont une science limitée. L’immolation devenait donc inutile et indigne de Dieu. S’il lui fallait apprendre que Dieu est