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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/343

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que tu fasses l’aumône ou que tu jeûnes, portes-en la peine, mais aie soin d’en perdre le profit. Quoi de plus cruel que ces ordres ? De là vient la jalousie, de là l’orgueil, de là l’avarice, mère de tous les maux. Car ces essaims de domestiques, ces satellites étrangers, les parasites, les flatteurs, les chars revêtus d’argent, et tant d’autres choses encore plus ridicules ne sont pas pour le plaisir ou pour le besoin, mais uniquement pour la vaine gloire. Soit, direz-vous ; il est évident pour tout le monde que cette passion est mauvaise ; mais ce qu’il faut nous dire, c’est le moyen de l’éviter. Le meilleur moyen, c’est de vous bien convaincre que c’est une maladie terrible ; ce sera un excellent commencement de conversion ; car dès que le malade est convaincu de sa maladie, il s’empresse de chercher un médecin. Si vous cherchez un autre moyen d’échapper, tenez sans cesse vos yeux vers Dieu et contentez-vous de sa gloire. Si le mal vous chatouille encore et vous porte à vous vanter de vos mérites devant vos frères, songez qu’il n’y a là aucun profit, étouffez ce désir coupable et dites à votre âme : Tu as mis tarit de temps à enfanter tes bonnes actions, et tu n’a pas eu la force de les tenir sous le voile du silence, mais tu les a divulguées ; quel avantage en as-tu retiré ? Aucun : pas autre chose qu’une perte complète, que la perte de ce que tu avais si laborieusement recueilli.
Songez de plus que le suffrage et l’opinion populaire sont viciés, non seulement viciés, mais bientôt flétris. On peut vous admirer une heure ; puis, le moment passé, on oublie tout ; on vous a enlevé la couronne que Dieu vous préparait et on vous retire celle que l’ou vous offrait. Si celle-là nous fût restée, t’eût été chose misérable de l’échanger contre l’autre ; mais comme elle nous a échappé, comment nous excuserons-nous d’avoir sacrifié celle qui ne passe pas à celle qui passe, d’avoir perdu tant d’avantages pour obtenir les éloges de quelques hommes ? Et quand le nombre des approbateurs serait considérable, on n’en serait pas moins malheureux ; on le serait même d’autant plus qu’ils seraient plus nombreux. Si ce que je dis vous étonne, écoutez le témoignage du Christ : « Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous ». (Lc. 6,26) Et c’est juste. Si, dans tous les arts, il faut s’en rapporter au jugement des artistes eux-mêmes, comment, en fait de vertu, s’en rapporter à la foule, et non avant tout à celui qui sait tout, et qui peut vous applaudir et vous couronner ? Écrivons donc sur nos murs, sur nos portes, dans nos cœurs, et répétons-nous souvent à nous-mêmes cette parole : Malheur à nous, quand tous les hommes disent du bien de nous ! Car ceux-là mêmes qui vous louent, vous accusent de vaine gloire, d’ambition, d’amour de la – renommée. Il n’en est pas ainsi de Dieu ; s’il vous voit épris de sa gloire il vous approuve, il vous admire, il fait votre éloge. Et l’homme, au contraire, vous faisant son esclave, de libre que vous étiez, vous donnant d’un seul mot une louange menteuse, vous enlève votre vraie récompense et vous met à ses ordres, au-dessous de l’esclave qu’on achète. En effet, celui-ci n’obéit que sur l’ordre de son maître ; et vous, vous obéissez sans ordre. Car vous n’attendez pas qu’on vous commande ; dès que vous savez comment plaire aux autres, vous faites tout, bien qu’on ne vous ordonne rien. Quel enfer ne méritons-nous pas, nous qui faisons plaisir à des méchants, qui leur obéissons sans qu’ils nous commandent, et quine montrons point la même docilité à l’égard de Dieu, quoique chaque jour il nous donne des ordres et nous adresse des exhortations.
Du reste, si vous aimez la gloire et la louange, fuyez celles qui viennent des hommes, et vous obtiendrez la gloire ; détournez-vous de la renommée, et vous recevrez mille louanges et de Dieu et des hommes. Car nous avons coutume de ne glorifier personne autant que celui qui méprise la gloire, de ne louer, de n’admirer personne autant que celui qui dédaigne d’être admiré et loué. Or, si nous agissons ainsi, à bien plus forte raison le Dieu de l’univers. Or, s’il vous glorifie et vous loue, n’êtes-vous pas le plus heureux des hommes ? Autant il y a de distance entre la gloire et le déshonneur, autant il y a de différence entre la gloire d’en haut et la gloire humaine ; que dis-je ? La différence est bien plus grande, elle est infinie. Car si la gloire humaine, prise en elle-même et sans comparaison avec d’autre, est déjà honteuse et hideuse à voir, combien paraîtra-t-elle plus laide encore, comparée à celle d’en haut ? Les esclaves de la vaine gloire sont comparables à une prostituée qui se livre à tout venant ; ils sont même plus ignobles