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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/369

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naturellement, n’est pas un crime ; mais devenir fou au moyen de la sagesse, c’est s’ôter tout espoir de pardon, c’est s’exposer à de plus grands châtiments. Tels sont ceux qui s’enorgueillissent de la sagesse et tombent ainsi dans une extrême folie.
Car rien ne rend insensé comme l’orgueil. Aussi le prophète donnait-il ce nom à un roi barbare, en disant : « Mais l’insensé dira des choses insensées ». (Is. 32,6) Or, pour connaître sa folie à son propre langage, écoutez ce qu’il dit : « J’établirai mon trône au-dessus des astres du ciel, et je serai semblable au Très-Haut ». (Id. 14,14) « Je placerai dans ma main le monde comme un nid, et je l’enlèverai comme des œufs abandonnés ». (Id. 10,4) Y a-t-il rien de plus insensé que ce langage ? Et voilà la honte que s’attirent toutes les paroles de jactance. Si je produisais ici toutes celles de l’orgueilleux, il vous serait impossible de discerner si elles sont d’un orgueilleux ou d’un fou : tant il est vrai que ces deux défauts n’en font qu’un ! Un autre barbare dit : « Je suis un Dieu et non un homme » ; un autre encore : « Dieu pourra-t-il vous sauver et vous arracher de mes mains ? » (Dan. 3,15) Et l’Égyptien : « Je ne connais point le Seigneur, et je ne laisserai point partir Israël ». (Ex. 5,2) Le prophète parle aussi d’un insensé de ce genre, qui dit en son cœur « Il n’y a point de Dieu ». (Ps. 13) Et Caïn : « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? » (Gen. 4,9) Pouvez-vous distinguer si ce sont des orgueilleux ou des fous qui parlent ? L’orgueil, perdant toute mesure et toute intelligence (d’où lui vient le nom de démence[1]) fait les insensés et les présomptueux. Si la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, ne pas connaître le Seigneur est le commencement de la folie. Donc si la sagesse consiste à connaître Dieu, la folie à ne pas le connaître, et si ce défaut de connaissance provient de l’orgueil, (en effet, ne pas connaître Dieu est le commencement de l’orgueil), donc, dis-je, l’orgueil est une extrême folie.
Tel était Nabal, devenu insensé par orgueil, non vis-à-vis de Dieu, mais à l’égard de l’homme, et qui finit par mourir de peur. Car, quand on a perdu la mesure de l’intelligence, l’âme s’affaiblit et on devient tout à la fois lâche et audacieux. En effet, de même que le corps est sujet à toutes les maladies, dès qu’une fois il a perdu son tempérament normal ; ainsi l’âme, quand elle a perdit sa grandeur propre et l’humilité, affaiblie dans sa constitution, devient timide en même temps qu’audacieuse et insensée, et finit par s’ignorer elle-même. Or, comment celui qui ne se connaît pas lui-même, connaîtra-t-il ce qui est au-dessus de lui ? Comme le frénétique, n’ayant plus conscience de lui-même, ne voit pas ce qui est devant ses pieds ; ou comme l’œil aveuglé plonge tous les membres dans l’obscurité ainsi arrive-t-il dans l’orgueil. Voilà pourquoi les orgueilleux sont plus à plaindre que les fous furieux, que ceux qui sont naturellement insensés. Comme eux ils sont ridicules, comme eux ils sont désagréables ils extravaguent comme eux, mais ils n’excitent point la même compassion ; comme eux ils ont perdu le sens, mais ils ne rencontrent pas la même indulgence ; on se contente de les haïr ; ayant les défauts des furieux et des insensés, ils ne sont point excusés comme eux ; on rit, non seulement de leurs paroles, mais de leurs façons. Pourquoi, dites-moi ; levez-vous la tête ? Pourquoi marchez-vous sur la pointe des pieds ? Pourquoi froncez-vous les sourcils ? Pourquoi renflez-vous votre poitrine ? Vous ne pouvez pas faire blanc ou noir un de vos cheveux, et vous marchez en l’air, comme si vous étiez le maître du monde. Peut-être voudriez-vous avoir des ailes pour ne plus toucher terre ; peut-être voudriez-vous être une merveille ? Eh ! n’en êtes-vous déjà pas, une, vous qui êtes homme et essayez de voler ? ou plutôt vous qui volez en désir, et qui vous gonflez en tout sens ?
Quel nom vous donnerai-je, pour détruire en vous cet orgueil ? Si je vous appelle cendre, poussière, fumée, tourbillon de poussière, j’ai exprimé votre peu de valeur, mais je n’ai pas encore trouvé l’image exacte que je voudrais ; car je voudrais peindre tout à la fois la bouffissure et le vide. Quelle image trouverai-je donc qui convienne aux orgueilleux ? Ils me paraissent ressembler à de l’étoupe brûlée. En effet, l’étoupe semble s’enfler quand elle est brûlée, elle prend un volume extraordinaire, mais au moindre contact de la main, elle s’affaisse entièrement et ne vaut pas même de la cendre. Telles sont les âmes, des orgueilleux ; leur enflure est vide ; le premier choc peut les abaisser et les réduire à rien. Car l’orgueilleux

  1. άπονοία signifie orgueil et démence