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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/376

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l’appelle de son propre nom, ce qui marquait plus de compassion, de désir de le ramener que de colère. Et il ne lui dit pas : Tu trahis ton Maître, ton Seigneur, ton bienfaiteur, mais : « Le Fils de l’homme ». Quand même ce ne serait ni ton Maître, ni ton Seigneur, celui qui était si doux, si sincère avec toi, jusqu’à te donner un baiser au moment même de ta trahison, quand ce baiser était précisément la marque de ta trahison, est-ce celui-là que tu trahis ? Soyez béni, Seigneur, pour cet exemple d’humilité, de patience admirable que vous nous avez donné. Oui, dira-t-on, tel s’est montré le Seigneur envers Judas ; mais, envers ceux qui s’élancèrent sur lui avec des bâtons et des épées, il ne s’est pas montré de même. Eh ! quoi de plus doux que les paroles qu’il leur adressa ? Il pouvait les exterminer tous à la fois : il n’en fait rien ; mais il leur dit, de manière à les toucher Pourquoi êtes-vous venus ici, comme si j’étais un voleur, pour me prendre avec des épées et des bâtons ? Il les avait renversés ; ils demeuraient comme privés de sentiment ; il se livra lui-même volontairement ; il supporta la vue des fers dont ses mains sacrées étaient entourées, et cela, quand il pouvait tout ébranler, tout jeter par terre.
Et vous, après de tels exemples, vous êtes durs envers le pauvre. Fût-il même, ce pauvre, souillé de mille forfaits, son indigence et la faim qui le presse, devraient, si vous n’étiez tout à fait endurcis, fléchir vos cœurs. Au contraire, vous êtes là, debout, hérissé comme une bête fauve, comme le lion en colère : il faut dire pourtant que les lions n’ont jamais goûté des cadavres ; mais vous, à, la vue du malheureux accablé de tant de maux, gisant à vos pieds, vous vous jetez sur lui, vos injures lui déchirent le corps, à la tourmente vous ajoutez la tourmente ; le malheureux qui cherche un refuge dans le port, vous le poussez contre l’écueil, et vous opérez un naufrage plus sinistre que les naufrages dans les mers. Et comment direz-vous à Dieu : Ayez pitié de moi ? Vous demandez le pardon de vos péchés, vous qui insultez, non pas le pécheur, mais celui qui a faim ; qui voulez le punir des tortures qu’il est forcé de souffrir, et qui, par votre cruauté, surpassez les bêtes féroces ? C’est parce que la faim les presse, que ces monstres se saisissent de la nourriture qui leur est propre ; mais vous, rien ne vous presse ni ne vous contraint, et vous dévorez votre frère, vous le mordez, vous le déchirez, sinon avec les dents, au moins avec des discours plus cruels que des morsures. Comment pourrez-vous recevoir l’oblation sainte, après avoir teint votre langue du sang humain ? Donner le baiser de paix d’une bouche qui ne sait que faire la guerre aux pauvres ? Comment pouvez-vous jouir de la nourriture sensible, quand vous amassez en vous un tel poison ? Vous ne redressez pas le pauvre ; qui vous force à le broyer sous vos pieds ? Vous ne relevez pas le malheureux abattu : qui vous force à le rabaisser plus encore ! Vous ne consolez pas sa tristesse : pourquoi la rendre plus amère ? Vous rie lui donnez pas d’argent ; pourquoi vos injures vont-elles l’outrager ? Ne savez-vous pas quels châtiments redoutables attendent ceux qui refusent de nourrir les pauvres ? A quels supplices ils sont condamnés ? « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges ». (Mt. 25,41) Si le refus de les nourrir appelle une pareille condamnation, quels supplices subiront ceux qui, non seulement refusent de les nourrir, mais vont jusqu’à les outrager ? Quelle torture, quelle gêne ! Gardons-nous donc de nous préparer de si affreux malheurs, il en est temps encore ; corrigeons ce vice, cette maladie ; mettons un frein à notre langue ; qu’il ne nous suffise pas de ne pas outrager, sachons encore consoler les pauvres, et par nos paroles, et par nos actions, afin de nous ménager par avance une grande miséricorde, et d’obtenir les biens qui nous sont annoncés ; puissions-nous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté, etc.