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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/413

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répond à l’affection qu’on lui porte par de l’affection ; c’est ce que font, dit le Seigneur, les païens et les publicains. (Mat. 5,46-47) S’il est naturel d’aimer ceux par qui l’on est aimé, le moyen de ne pas aimer ceux qui répondent à la haine par de l’amour ? Pratiquez donc cette charité ; ne vous lassez pas de redire : Plus vous me haïrez ; plus je vous aimerai ; voilà une parole qui apaise toutes les querelles, qui attendrit tous les cœurs. Cette maladie de la haine c’est ou une inflammation, ou un refroidissement ; dans les deux cas la douce chaleur de la charité opère la guérison. Ne voyez-vous pas comme ces honteux amants supportent les soufflets, les mépris, les outrages, tout ce que leur font endurer ces misérables courtisanes ? Qui pourrait éteindre cet amour ? les affronts ? Nullement, ils ne font que le raviver : qu’importe que ces malheureuses, outre que ce sont des prostituées, appartiennent à une race obscure et vile ; qu’importe que leurs victimes puissent souvent citer de glorieux ancêtres, et soient illustres à d’autres titres, rien n’y fait, l’indignité même du traitement qu’ils subissent ne les rebute pas, ne les éloigne pas de la femme qu’ils aiment.
4. Ne rougirons-nous pas quand Satan, quand les démons inspirent des amours d’une telle force, de ne pouvoir montrer la même énergie dans un amour, selon le cœur de Dieu ? ne comprenez-vous pas que c’est là, pour frapper le démon, Parme la plus redoutable ? ne voyez-vous pas quelle est l’insistance de ce démon pervers pour attirer à lui l’objet de votre haine, et que c’est un de vos membres dont il veut s’enrichir ? et vous, vous n’y faites pas attention, et vous abandonnez le prix du combat ? Le prix du combat, c’est votre frère, placé au milieu du champ de bataille ; soyez vainqueur ; à vous la couronne ; cédez à votre négligence, et la couronne est perdue, et vous vous retirez honteusement. Cessez donc de faire entendre ce cri satanique : Si mon frère me hait, je ne veux même plus le voir. Rien de plus honteux ; laissez dire la foule qui trouve là une marque de grandeur d’âme ; rien de plus bas, de plus insensé, de plus cruel. Et ce qui m’afflige plus que tout, c’est la confusion que fait le grand nombre, prenant le mal pour de la vertu ; l’humeur dédaigneuse et méprisante pour de la générosité, de (honnêteté. Voilà par où le démon nous prend surtout dans ses filets : nous faisons une bonne renommée à la perversité, ce qui la rend si difficile à détruire. Je n’entends que des gens qui se glorifient de n’avoir aucun commerce avec leurs ennemis : eh bien, votre Seigneur met sa gloire précisément dans le contraire. Que de fois les hommes l’ont conspué ! que de fois ils se sont détournés de lui ! Mais lui ne se lasse pas de courir à eux.
Ne dites donc plus : Je ne peux avoir aucun commerce avec ceux qui me détestent ; dites au contraire : Je ne puis rejeter ceux qui me rejettent. Voilà le langage d’un disciple du Christ ; l’autre langage est celui du démon ; l’un donne une gloire éclatante ; l’autre, la honte et le ridicule. Voilà pourquoi nous admirons Moïse ; quand le Seigneur lui dit : « Laissez-moi faire, dans ma colère je les exterminerai » ; Moïse ne put se résoudre à détester ceux qui s’étaient si souvent détournés de lui, et il répondit à Dieu : « Je vous conjure de leur pardonner leurs péchés ; si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit ». (Ex. 32,10, 31, 32) C’est que Moïse était l’ami et l’imitateur de Dieu. Ne nous glorifions donc pas de ce dont nous avons lieu de rougir ; ne répétons pas avec complaisance ces banalités grossières : je sais rendre haine pour haine ; si nous entendons ce langage, tournons celui qui le tient, en ridicule, et fermons-lui la bouche parce qu’il se glorifie dé ce qui doit exciter la honte. Que dites-vous ; répondez-moi ? Vous détestez un fidèle que le Christ n’a pas détesté quand il était encore infidèle ? Et que dis-je, que le Christ n’a pas détesté ? Le Christ l’a aimé, cet homme, cet ennemi, ce misérable, il l’a aimé jusqu’à mourir pour lui. Cet homme, entendez-vous, cet homme ainsi fait, le Christ l’a aimé de cet amour ; et vous, aujourd’hui, dites-moi, quand cet homme a recouvré sa beauté, vous le détestez, un membre du Christ, une partie du corps du Seigneur ? Ne comprenez-vous pas ce que vous dites ? ne sentez-vous pas jusqu’où va votre audace ? Cet homme a pour tête le Christ, le Christ est sa table, son vêtement, sa vie, sa lumière, son fiancé ; il est tout pour lui, et vous osez dire. Je le déteste ! et non seulement lui, mais une infinité d’autres avec lui ? Arrête, ô homme ! apaise ton délire, reconnais ton frère, reconnais la démence de tes paroles, paroles d’un insensé en fureur ; habitue-toi à dire tout le contraire ; dût-il mille fois me rejeter, me repousser, je