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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/43

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Puisque, non content d’enlever les siens, il se jette aussi sur ceux qui nous appartiennent, puisqu’à cause la perte des uns en les entraînant au péché, et qu’il nous dérobe ceux mêmes auxquels nous imposons une pénitence ; n’est-ce pas un usurpateur qui s’empare du bien d’autrui ? Il ne lui suffit pas de nous renverser par le péché ; il obtient le même résultat par notre pénitence, si nous ne sommes sur nos gardes. Saint Paul, a donc raison de l’appeler usurpateur, puisqu’il triomphe par nos propres armes ; qu’il s’empare de nous parle péché, je le conçois ; c’est une arme qui lui est propre ; mais qu’il triomphe par la pénitence, c’est une usurpation ; car la pénitence est une arme qui nous appartient, et qu’il ne peut revendiquer comme la sienne. Lorsqu’il peut nous vaincre, même par la pénitence, quelle défaite honteuse pour nous ! Il se rira de notre faiblesse et de notre misère, il nous tourmentera de mille manières, après nous avoir subjugué par nos propres armes. Quoi de plus ridicule en effet, de plus honteux, pour nous que de nous sentir blessés par ce qui devait nous, guérir ? Aussi l’apôtre disait-il : « Nous n’ignorons pas ses pensées ». C’est-à-dire nous savons combien il est souple, rusé, fourbe, méchant, habile à séduire par les apparences mêmes de la piété. C’est ce que nous ne devons jamais perdre de vue. N’ayons donc de mépris pour personne ; ne désespérons pas après notre péché, ne vivons point non plus dans l’indolence ; mais brisons notre âme par un sincère repentir, et ne nous bornons pas à témoigner notre douleur par nos paroles.
Beaucoup en effet répètent qu’ils se repentent de leurs péchés, mais ils n’accomplissent aucun acte de pénitence ; ils jeûnent, il est vrai ; ils sont modestes dans leurs vêtements, mais ils ont plus soif de richesses que les usuriers ; leur colère surpasse celle des bêtes féroces ; la médisance leur cause plus de plaisir qu’à d’autres les éloges. Est-ce là une pénitence ? Non, c’est l’ombre, c’est l’apparence du repentir, ce n’est point le repentir. C’est pourquoi il est bon de leur adresser les paroles de l’apôtre : Prenez garde de vous laisser circonvenir par Satan ; car nous n’ignorons point ses pensées. Il sait perdre, ceux-ci par le péché, ceux-là par la pénitence, en les empêchant de retirer aucun fruit de leur repentir. Il ne peut réussir par un chemin direct ; il prend un chemin détourné ; il redouble la fatigue et enlève les fruits ; il persuade que tout est fait et qu’on peut négliger ce qui reste encore. Prenons donc garde que notre pénitence ne soit frappée de stérilité.
Que de femmes font ainsi pénitence ! Adressons-leur cette courte exhortation, car elles en ont un besoin tout spécial. Oui, c’est une bonne chose que de jeûner, que de coucher sur la terre, que de mettre des cendres sur sa tête ; mais à quoi sert tout cela, s’il ne s’y joint autre chose ? Dieu n’a-t-il pas fait voir à quelle condition il pardonne les péchés ? Pourquoi donc abandonner cette voie pour en suivre une autre ? Autrefois les Ninivites péchèrent, et ils firent ce que vous faites maintenant ; mais quel avantage en retirèrent-ils ? Les médecins ont recours à mille remèdes différents ; mais la prudence veut que l’on se demande non pas quel remède a été employé, mais quel effet ce remède a produit. Il faut en agir, de même après que l’on a péché. Qu’y eut-il donc de vraiment avantageux pour ce peuple barbare ? Ils jeûnèrent, ils couchèrent sur la dure, se vêtirent de sacs, répandirent la cendre sur leurs têtes, ils poussèrent des gémissements : mais aussi, ils changèrent de conduite.
6. Parmi nous ces remèdes, quel fut le remède efficace ? Comment le savoir, direz-vous ? Si nous allons trouver le médecin et que nous l’interrogions, il nous le dira volontiers. Ou plutôt il nous épargne la peine de le lui demander, et il nous mentionne dans ses, écrits, le remède qui sauva les Ninivites. Quel est donc ce remède ? « Dieu vit que chacun avait quitté ses voies perverses, et il se repentit de les avoir menacés de si grands malheurs ». (Jon. 3,10) L’Écriture ne dit pas : Il vit leur jeûne, leurs cilices, la cendre répandue sur leurs têtes. Ce que je dis, non pour déprécier le jeûne, à Dieu ne plaise ; mais pour vous exhorter à vous abstenir de toute espèce de vices ; ce qui vaut mieux encore que de se priver de nourriture. David, lui aussi, commit de grands péchés : voyons comment il en fit pénitence : Trois jours il resta assis sur la cendre. Ce n’était point pour expier son crime qu’il en agissait de la sorte ; mais il manifestait par là cette douleur où la mort de son fils avait plongé sort âme. Quant à son crime, il l’expia d’une autre manière, c’est-à-dire, par l’humilité, par la contrition, par la componction du cœur, par la résolution de ne plus le commettre de nouveau, d’en garder perpétuellement