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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/482

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sont donc pas une marque de délaissement : autrement, celui qui nous a comblés de ses bienfaits nous les aurait épargnés. Mais si, pour connaître la charité de Dieu, Paul a besoin de prière et du séjour intérieur de l’Esprit, qui pourra connaître par des raisonnements l’essence du Christ ? Eh quoi ! est-il si difficile de se convaincre que Dieu nous aime ? Très difficile, mon cher frère. Il y a des gens qui l’ignorent, et partent de là pour expliquer l’origine de maux innombrables déchaînés sur le monde ; d’autres méconnaissent le degré de cet amour. Paul ne s’inquiète pas de déterminer ce degré : comment le pourrait-il ? Il se borne à dire qu’il est grand et sublime de le connaître, et se fait fort de le prouver au moyen de la connaissance même dont nous avons été jugés dignes. Mais qu’y a-t-il au-dessus de ceci : être fortifiés ? C’est d’être fortifiés puissamment ; de même qu’avoir le Christ est moins qu’avoir le Christ en soi. Je sollicite de grands bienfaits, dit Paul. Néanmoins Dieu saura bien dépasser mes vœux ; non seulement il nous inspirera l’amour, mais encore un amour brûlant. Appliquons-nous donc, mes chers frères, à apprendre l’amour de Dieu. C’est une grande chose, rien ne nous est aussi utile, rien ne nous inspire autant de componction : la crainte de l’enfer est moins propre à subjuguer nos âmes. Mais qu’est-ce qui nous donnera cette connaissance ? Les paroles de l’Écriture, et aussi les événements de chaque jour. Pourquoi ces choses sont-elles arrivées ? Dieu en avait-il besoin ? Nullement. Partout c’est à la charité que l’Écriture recourt pour tout expliquer. Et la charité n’éclate nulle part aussi visiblement que dans le bienfait aux hommes sans qu’ils l’aient mérité.

Imitons Dieu, nous aussi : faisons du bien à nos ennemis, à ceux qui nous haïssent, allons à ceux qui se détournent de nous. Voilà ce qui nous rend semblables à Dieu. Vous aimez vos amis, dites-vous : quel avantage vous en revient-il ? Les païens en font autant. Qu’est-ce qui prouve la charité ? C’est d’aimer qui nous hait. Je veux vous donner un exemple : pardonnez-moi, si, n’en trouvant point dans les choses spirituelles, je le tire des choses mondaines. Voyez ceux qu’on appelle amants : tout ce que peuvent leur faire endurer les objets de leur amour, d’outrages, de perfidies, de dommages, ne les empêche pas de leur rester attachés, de brûler d’ardeur pour eux, de les aimer plus que leur âme, de passer les nuits devant leur porte. Si je recours à cet exemple, ce n’est pas pour vous inspirer l’amour de pareilles créatures, je veux dire des courtisanes, c’est afin que vous aimiez vos ennemis. Dites-moi, est-ce que ces femmes ne traitent pas ceux qui les aiment plus insolemment que ne feraient des ennemis ? ne dissipent-elles pas leur fortune ? ne défigurent-elles point leur visage ? ne les traitent-elles point avec plus de dureté que des esclaves ? Mais ils ne peuvent s’en détacher. Et pourtant, il n’est pas d’ennemi plus cruel qu’une courtisane n’est pour son amant. Elle se joue de lui, elle l’outrage, elle ne cesse d’abuser de lui ; et ses dédains sont proportionnés à l’amour qu’elle inspire. Quoi de plus féroce qu’une âme ainsi faite ? Et pourtant on persiste à aimer. Mais peut-être trouverons-nous aussi chez les hommes spirituels des exemples d’une pareille tendresse : non parmi ceux d’aujourd’hui, car la ferveur s’est refroidie ; mais parmi les grands et admirables personnages d’autrefois.

4. Le bienheureux Moïse surpassa ceux mêmes que l’amour possède. Comment et de quelle façon ? D’abord il quitta le palais du roi, le luxe qui y régnait, les égards, les hommages qui lui étaient prodigués pour aller vivre avec les Israélites. Tout autre non seulement n’en eût pas fait autant, mais eût encore rougi, si quelqu’un l’eût convaincu d’appartenir à la même race que des esclaves, et des esclaves réputés impurs. Loin de rougir de cette parenté, Moïse se voua de tout cœur à la défense des Israélites, et se mit en péril pour eux. Comment cela ? Voyant un homme maltraiter un d’entre eux, dit l’Écriture, il prit la défense de celui-ci, et tua l’agresseur. Mais en cela il n’agissait pas encore dans l’intérêt de ses ennemis. Cette action est belle sans doute, mais ce qui suit la surpasse. Le lendemain, il vit la même chose se répéter : l’agresseur était celui dont il avait pris la défense : il l’engagea à cesser ses violences. L’autre lui répondit, sans rougir d’une telle ingratitude : « Qui t’a établi chef et juge sur nous ? » Qui n’eût été enflammé de courroux à cette réponse ? Si dans la première occasion il n’avait fait que céder à la colère, à la fureur, cette fois encore, il eût frappé et tué le coupable. Car il n’eût pas été dénoncé par celui dont il prenait la défense. S’il parlait ainsi, c’était par respect pour les