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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/493

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tomba à genoux ; il pouvait entrer dans l’endroit où étaient les saints ; mais il se tint à la porte : car il n’osait pénétrer dans l’intérieur du cachot brûlant qu’il leur avait préparé. Veuillez considérer maintenant ces paroles : « Seigneurs, dit le geôlier, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » Le roi parle avec moins d’humilité, mais non pas moins de douceur : « Sedrach, Misac, Abdénago, serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ». (Dan. 3,93) Quel honneur ! « Serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ». Et comment pourraient-ils sortir, ô roi ? Tu les as enchaînés et jetés dans la fournaise, où ils sont depuis longtemps. Quand ils seraient de bronze, de métal, n’auraient-ils pas péri depuis qu’ils ont commencé à chanter leur hymne ?

Mais c’est ce chant même qui les a sauvés. Le feu respecta leur ferveur, leur chant, leurs hymnes admirables. Quel nom leur donnes-tu ? Je l’ai déjà dit : « Serviteurs du Dieu très-haut ». Tout est possible aux serviteurs de Dieu. S’il y a des serviteurs de maîtres mortels qui partagent leur autorité et la gestion de leurs biens, à plus forte raison en est-il ainsi des serviteurs de Dieu. Le roi donne aux enfants le nom le plus doux : il savait les flatter par là. En effet, s’ils étaient entrés dans les flammes pour rester serviteurs de Dieu, aucune autre appellation ne pouvait leur être plus agréable ; en les appelant des rois maîtres du monde, il ne les aurait pas tant réjouis qu’en leur disant : « Serviteurs du Dieu très-haut ». Faut-il vous en étonner ? Écrivant à cette grande cité qui était la maîtresse du monde, à cette grande cité si fière de sa gloire, Paul se désigne par le titre suivant, comme s’il eût équivalu à ceux de consul, de roi, de maître du monde, ou plutôt, parce qu’il les surpasse incomparablement : « Paul, serviteur de Jésus-Christ… » — « Serviteurs du Dieu très-haut ». S’ils déploient tant de zèle pour être serviteurs, pensait-il, nous ne manquerons point de les gagner par là…

Observez, en conséquence, la piété des enfants. Ils ne s’irritent point, ne s’indignent point, ne répondent point : ils sortent. S’ils avaient considéré comme un supplice d’être précipités dans la fournaise, ils auraient pu avoir du ressentiment contre celui qui les y avait enfermés : mais rien de pareil ; on eût dit, à les voir, qu’ils sortaient du ciel. Et l’on aurait pu leur appliquer ce que le Prophète dit du soleil. « Comme un fiancé sortant de la chambre nuptiale » ; car leur sérénité était plus grande encore. Le soleil paraît pour répandre sur le monde la lumière sensible eux, ils y répandaient une autre lumière, la lumière immatérielle. Car aussitôt le roi envoya en leur faveur un ordre ainsi conçu : Je me suis complu dans les signes et dans les prodiges que Dieu a faits de manière à nous en révéler la grandeur et la puissance. Ils sortirent donc ; et la lumière qu’ils répandaient, éclatante en ces lieux-mêmes, devint capable, grâce au message royal, de se propager au loin, et de dissiper partout les ténèbres. « Sortez et venez ici ». Il ne fit pas éteindre la fournaise : mais c’était encore un hommage qu’il leur rendait que de les croire capables, non seulement de marcher à l’intérieur, mais encore de sortir malgré le feu.

9. Considérons maintenant, s’il vous plaît, les paroles du geôlier : « Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » (Act. 16,30) Quoi de plus agréable qu’une telle parole ? Elle fait tressaillir de joie les anges eux-mêmes ; afin de l’entendre, le Fils unique de Dieu alla jusqu’à se faire serviteur. C’est ce que disaient à Pierre ceux qui crurent au commencement : « Que ferons-nous pour être sauvés ? » Et que répond-il ? « Croyez, et faites-vous baptiser ». (Id. 2,37-38) Paul aussi se serait volontiers jeté dans l’enfer pour entendre ce langage sortir de la bouche des Juifs, tant il désirait les voir sauvés et dociles. Voyez pourtant : il se remet à eux de toutes choses, il ne les importune point. Mais passons à la suite. Le roi ne dit pas : Pour que je sois sauvé ; mais l’enseignement qu’il avait reçu était plus convaincant que ne pouvait l’être aucun langage car aussitôt il proclame la vérité. Il n’a pas besoin d’être catéchisé comme le geôlier ; il rend hommage à Dieu et confesse sa puissance : Je sais en vérité que votre Dieu est le Dieu des Dieux et le Seigneur des Seigneurs ; qu’il a dépêché son ange et vous a tirés de la fournaise. Et la suite ? Ce n’est pas un seul homme, un geôlier, c’est un grand nombre de personnes qui sont catéchisées par le message royal et par la vue des événements. Il était clair pour tous que le roi n’avait pas menti ; il n’aurait pas voulu rendre un pareil témoignage à des captifs, ni s’abaisser lui-même ; il n’aurait pas voulu donner une telle preuve de démence. Ainsi donc, si la vérité n’avait pas été très manifeste,