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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/502

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entière arrachée de ses fondations et s’écroulant sur le sol. Un bon nombre, plus hardis, plus téméraires que les autres, ne craignent pas de s’approcher des bâtiments qui brûlent, non pour tendre la main aux habitants ou pour éteindre le feu, mais pour jouir du spectacle mieux à leur aise, pour être à portée de ne rien perdre des incidents qui échappent souvent aux curieux du dehors. Si par hasard il s’agit d’une maison grande et magnifique, on voit là un spectacle attendrissant, et qui arrache des larmes. Et c’est en effet un spectacle attendrissant que ces chapiteaux réduits en cendres, que ces colonnes brisées, les unes par l’action du feu, les autres par les mains de ceux qui les ont élevées, pour que l’incendie n’étende pas plus loin ses ravages. On voit alors ces statues qui naguère se dressaient avec tant de majesté, découvertes par la chute des lambris qui les protégeaient, et tristement exposées aux injures de l’air. Que dire des trésors renfermés dans la maison, des étoffes brochées d’or, des vases d’argent ? Les appartements où le maître pénétrait seul avec sa femme, le dépôt où était mis en réserve étoffes et parfums, les écrins de pierres précieuses ; tant de serviteurs chargés d’offices différents ; tout ce que cette demeure contenait de richesses et d’habitants n’est plus qu’eau, feu, boue, poussière et poutres à demi brûlées.

Pourquoi me suis-je étendu sur ce tableau ? Ce n’est pas que j’aie voulu perdre mon temps à vous décrire un incendie : à quoi bon ? Mais j’ai tâché de vous mettre sous les yeux, autant qu’il est en moi, les malheurs de l’Église. Pareils à un incendie véritable, ou à un carreau de foudre, ils atteignent le faîte même de l’Église, sans réveiller personne. La maison de nos pères est en feu : et nous dormons d’un sommeil profond, et nous ne nous apercevons de rien. Qui, en effet, n’a pas été atteint par ce feu ? Quelle image est restée debout dans l’Église ? Car l’Église n’est pas autre chose qu’un palais bâti avec nos âmes. Mais ce palais n’est point également précieux dans toutes ses parties : parmi les pierres qui le constituent, il en est de belles et de brillantes, il en est de moins éclatantes et de moins précieuses, bien que supérieures encore à toute autre. Les uns, en bon nombre, jouent le rôle de l’or qui décore les lambris ; d’autres figurent les statues qui embellissent l’enceinte ; d’autres sont comparables à des colonnes. On peut, en effet, appeler de ce nom ces hommes dont le mérite ne gît pas seulement dans la constance, mais encore dans l’éclat que projette, pour ainsi dire, l’or de leurs chapiteaux. La foule enfin, est ce qui constitue toute cette vaste enceinte : elle est comme les pierres dont les murs sont formés.

3. Mais il vaut mieux passer à une image plus belle. Notre Église n’est pas faite de pierres ordinaires, mais d’or, d’argent, de pierres précieuses : et l’or y est disséminé partout. Mais (ô larmes amères !) la tyrannie de la vanité a consumé tout cela, comme une flamme dévorante, et rien n’a pu résister au fléau : nous restons là à regarder l’incendie, et nous ne sommes plus capables de l’éteindre. Et quand bien même nous l’éteignons pour un instant, au bout de deux ou trois jours, une étincelle sortie de la cendre ruine tout, sans excepter ce qui avait été épargné jusque-là. La même chose se retrouve dans l’exemple que nous avons choisi : car ces accidents sont fréquents dans les incendies. L’origine du mal c’est que les colonnes mêmes de l’Église ont manqué par leurs fondements : ainsi ceux qui soutenaient le toit, et avaient assuré jusque-là la solidité de tout l’édifice, sont devenus la proie des flammes. Dès lors le feu a pu étendre rapidement ses ravages sur le reste des parois. Dans les incendies de maisons, la flamme une fois maîtresse des poutres, est plus forte contre les pierres ; et une fois les piliers abattus, jetés par terre, ce n’est plus une affaire que d’avoir raison de tout l’édifice… Quand les appuis, les soutiens des parties supérieures succombent, le reste les suit aussitôt et spontanément. Il en est de même aujourd’hui pour l’Église : le feu est partout. Nous recherchons les distinctions humaines, nous brûlons pour la gloire, et nous n’entendons pas Job qui nous dit : « Si, quand j’ai péché même involontairement, j’ai craint la multitude ». (Job. 31,34) Voyez-vous cette âme vertueuse ? Je n’ai pas rougi, nous dit Job, de déclarer devant la multitude mes péchés involontaires. Que s’il n’en rougissait pas, à plus forte raison devrions-nous faire comme lui. Car il est écrit : « Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié ». (Isa. 43,26)

Terrible est désormais la violence du fléau, tout est bouleversé, anéanti. Nous avons abandonné le service de Dieu pour celui de la