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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/531

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Mais celui qui pardonne des offenses, rend service à la fois à son âme, et à celle de l’homme à qui il pardonne : car ce n’est pas seulement lui-même, c’est encore le coupable qu’il améliore de cette façon. C’est moins en cherchant à nous venger de nos persécuteurs qu’en leur pardonnant, que nous chagrinons leur âme tant nous leur causons alors de remords et de honte. Autrement nous ne rendons service ni à eux ni à nous-mêmes : tout au contraire, c’est à notre dommage comme au leur, que nous recherchons le talion à la façon des princes des Juifs, et que nous attisons ainsi le courroux de nos ennemis. Mais si nous répondons par la douceur à l’injustice, nous apaisons toute leur colère, et nous établissons dans leur âme un tribunal qui juge en notre faveur et les condamne plus sévèrement que nous ne ferions nous-mêmes. Alors ils prononcent contre eux-mêmes un arrêt rigoureux ; et ils cherchent tous les moyens de payer notre patience avec usure, sachant que s’ils se bornent à rendre exactement la pareille, l’initiative prise par nous et l’exemple que nous leur aurons donné nous assurera l’avantage. Ils voudront, en conséquence, outrepasser la juste mesure, afin de compenser par la supériorité du bienfait l’infériorité qui vient de ce que nous les avons devancés, et de racheter par un surcroît de bonté, l’inégalité que le temps met entre eux et celui qu’ils ont offensé les premiers.

En effet, quand on est reconnaissant, on éprouve moins de peine à être maltraité, qu’à se voir obligé par ceux envers qui l’on a eu des torts. Car c’est une faute, et même une honte, un ridicule, que de ne pas répondre à un bienfait. Pour ce qui est, au contraire, de ne pas se venger d’une offense, on n’a pas assez d’éloges, d’applaudissements, de bénédictions pour une telle conduite. De là le vif chagrin dont je parle. Si donc vous voulez user de représailles, ayez recours à ce moyen : rendez le bien pour le mal, afin de changer votre ennemi en débiteur, et de remporter une éclatante victoire. On vous a fait du mal ? Faites du bien : c’est ainsi qu’il faut vous venger. Si vous vous y preniez autrement, tout le monde vous blâmerait aussi bien que votre ennemi au contraire, si vous montrez de la patience, on vous applaudira, on vous admirera, et on condamnera l’offenseur.

3. Quel spectacle pour un ennemi, que de voir son ennemi devenu l’objet d’une admiration, d’un enthousiasme unanimes ? Quoi de plus cruel que de se voir lui-même injurié sous les yeux de son ennemi ? Si vous vous vengez, on vous condamnera sans doute ; et vous serez votre seul vengeur ; si vous pardonnez, tout le monde se chargera de votre vengeance : et voir tant de personnes prendre en main la vengeance de son ennemi, c’est un supplice pire que tous les châtiments. Si vous ouvrez la bouche, les autres se tairont ; si vous vous taisez, ce n’est pas une bouche, mais mille que vous déchaînez contre l’offenseur, et votre vengeance n’en est que plus terrible. Si vous l’attaquez en paroles, plus d’un vous en fera un crime, et attribuera vos paroles à la passion ; mais la vengeance s’exécute sans donner lieu à aucun soupçon, quand l’accusateur n’est pas un offensé.

Quand des gens qui n’ont à se plaindre de rien sont touchés de votre mansuétude, au point de s’intéresser à votre injure et d’y compatir, comme si elle les atteignait, aucun soupçon ne peut tomber sur une vengeance de cette espèce. Et si personne ne prend votre défense ? dira-t-on. Les hommes ne sont pas de pierre ; il est impossible que la vue d’une telle sagesse n’excite pas leur admiration ; et quand bien même ils ne se chargeraient pas de votre vengeance sur-le-champ, une fois ou l’autre, quand l’occasion se présentera, ils n’y manqueront point, ils poursuivront le coupable de leurs reproches et de leurs sarcasmes. Que si vous n’avez pas d’autres admirateurs, vous en aurez un du moins, en votre ennemi, qu’il l’avoue ou non. Le sentiment du bien reste incorruptible et inflexible en nous, fussions-nous plongés dans un abîme de perversité. Pourquoi, selon vous, Notre-Seigneur Jésus-Christ dit-il : « Si quelqu’un vous donne un soufflet sur la joue droite, présentez-lui l’autre joue ». (Mat. 5,39) N’est-ce point parce que, plus on montre de patience, plus on rend service et à soi-même et à l’agresseur ? Voilà pourquoi il nous est prescrit de tendre l’autre joue, afin d’assouvir la rage des furieux. – Quelle bête féroce ne rentrerait aussitôt en elle-même ? Les chiens, dit-on, éprouvent ce sentiment : si la personne contre qui ils aboient, sur laquelle ils s’élancent, se jette à la renverse sans essayer de se défendre, leur colère s’apaise aussitôt. Or, si ces animaux respectent ceux qui s’abandonnent à leur discrétion,