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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/536

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des serviteurs de la pierre[1]. Rien ne tourne, ne change aussi vite ; tout chez lui est d’emprunt, gestes, paroles, rire, démarche ; il faut qu’il s’applique à imaginer des quolibets c’est dans son rôle. Une pareille comédie ne sied guère à un chrétien. L’homme plaisant ne peut manquer de s’attirer gratuitement beaucoup de haines, en tournant en ridicule, à tout propos, des personnes présentes ou des absents qui en sont informés. Si c’est là un noble emploi, pourquoi l’abandonne-t-on aux mimes ? Vous voilà mime, et vous ne rougissez pas ? Pourquoi ne permettez-vous point la même chose aux filles de bonne maison ? n’est-ce pas que vous y voyez une occupation indigne de la réserve et de la pudeur. De grands maux font leur séjour dans l’âme de l’homme plaisant, le relâchement, le vide plus d’harmonie, plus de solidité, plus de crainte, plus de religion.

Si vous avez une langue, ce n’est pas pour railler autrui, c’est pour rendre grâces à Dieu. Regardez ceux qu’on appelle farceurs, saltimbanques : voilà les hommes plaisants. Bannissez de vos âmes, je vous en supplie, ce funeste divertissement : c’est l’occupation des parasites, des mimes, des danseurs, des prostituées : non pas d’une âme libre, non pas d’une âme noble, non pas des serviteurs. Tout ce qu’il y a de vil, de déshonoré, possède ce talent. Beaucoup même y voient un mérite : ce qui est désolant. Ainsi que la concupiscence mène insensiblement à la fornication : ainsi la plaisanterie passe pour une grâce, mais rien n’est plus éloigné de la grâce. Écoutez ce que dit l’Écriture : « L’éclair devance le tonnerre, et la grâce précédera l’homme réservé ». (Sir. 32,10) Or, rien de moins réservé que l’homme plaisant. Ce n’est donc pas de grâce, c’est de malheur que sa bouche est pleine. Bannissons ce divertissement de nos tables. On voit des hommes qui vont jusqu’à dresser les pauvres à cet emploi. O dépravation ! ils changent en bouffons les affligés. On n’a pas pénétré aujourd’hui le fléau dont je parle. Il s’est glissé jusque dans l’Église ; il a profané jusqu’aux Écritures. En dirai-je davantage, afin de montrer l’excès du mal ? J’ai honte : je parlerai néanmoins : car je veux vous faire mesurer les ravages du mal, afin de me justifier du reproche de m’arrêter à des minuties dans mes entretiens avec vous, afin de guérir votre égarement à tout le moins par ce remède extrême. Et n’allez pas croire que j’invente : je redirai ce que j’ai entendu.

Quelqu’un se trouvait chez une personne très-fière de son savoir : je vais exciter le rire, je le sais ; je parlerai néanmoins. La table servie, notre homme dit : « Servez, enfants, de peur que le ventre ne se fâche ». Il en est d’autres qui disent : « Malheur à toi, Mammon, et à celui qui ne te possède pas ! » Et tant d’autres sottises inventées par le bel esprit, par exemple : « N’est-ce pas le moment de la génération ? » Je dis cela pour vous montrer le scandale de cette honteuse manière d’agir : de telles paroles dénotent une âme sans religion. Est-ce trop du tonnerre pour punir de tels écarts ? Et ce n’est qu’un échantillon des propos tenus par ces hommes. Ainsi donc, je vous en conjure, ne laissons à cette mode aucun asile parmi nous ; parlons comme il nous sied : que nos bouches fidèles n’empruntent jamais le langage des bouches avilies et déshonorées. « Quel partage entre la justice et l’iniquité ? Quelle communauté entre la lumière et les ténèbres ? » (2Co. 6,14) Il faut s’estimer heureux si l’on réussit, en se corrigeant de tous ces honteux écarts, à obtenir les biens promis : que serait-ce donc si nous nous chargions d’un pareil fardeau, et corrompions ainsi la pureté de notre cœur ? Un plaisant devient bien vite un médisant or, un médisant accumule sur sa tête bien d’autres maux encore. Sachons donc refréner ces deux instincts de notre âme, je veux dire la concupiscence et la colère ; sachons les soumettre au joug de l’intelligence, comme des chevaux dociles, et leur donner pour guide la raison, si nous voulons obtenir la palme qui nous est proposée là-haut ; puisse-t-elle nous être décernée à tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. Jésus-Christ.