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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/535

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faites le bel esprit ? Voit-on un athlète, au milieu du stade, oublier son adversaire et la lutte, pour dire des bons mots ? Le diable est là, il rôde autour de vous en rugissant, pour vous emporter ; il met tout en œuvre et en mouvement pour vous perdre, il complote de vous jeter à bas du nid, il grince des dents, rugit, souffle le feu contre votre salut ; et vous restez là tranquille à plaisanter, à dire des folies, des indécences ; vous êtes donc bien sûr de la victoire. Nous perdons notre temps, mes chers frères. Voulez-vous savoir comment vivent les saints ? Écoutez Paul, qui vous dit : Durant trois ans, nuit et jour, je n’ai pas cessé avec des larmes, d’admonester chacun de vous. (Act. 20,31) Que s’il se donnait tant de peine pour les Milésiens et les Éphésiens, si au lieu de plaisanter il ne cessait de les admonester avec larmes, que dira-t-on des autres ? Écoutez encore ce qu’il dit aux Corinthiens : « Je vous ai écrit dans l’affliction et l’angoisse du cœur, avec beaucoup de larmes ». (2Co. 2,4) Et encore : « Qui est faible, sans que je sois faible ? Qui est scandalisé, sans que je brûle ? » (Id. 11,29)

Écoutez encore comment il parle ailleurs et se dépeint aspirant, pour ainsi dire, chaque jour, à sortir du monde : « Car nous qui sommes dans la tente, nous gémissons ». (Id. 5,4) Et vous, vous riez ; vous badinez ? C’est le temps de combattre, et vos occupations sont celles des danseurs ? Ne voyez-vous pas les visages de vos ennemis, comme ils sont menaçants, renfrognés, comme ils froncent le sourcil d’un air formidable. Considérez une armée qui va combattre : les visages sont sévères ; les cœurs, en éveil, bondissent et palpitent ; l’esprit est attentif, inquiet, frémissant : partout règnent l’ordre, la discipline, le silence : je ne dirai pas qu’on ne profère point de paroles obscènes ; personne ne dit rien. Si les combattants qui n’ont affaire qu’à des ennemis charnels, gardent un si profond silence, quand ils pourraient parler sans péril, vous qui avez à combattre, à soutenir le fort de la guerre, sur le terrain des paroles, vous ne songez pas à vous fortifier de ce côté ? Ignorez-vous que c’est par là surtout qu’on essaiera de nous surprendre ? Vous badinez, vous vous amusez, vous dites des bons mots, vous faites rire, et vous ne voyez pas de mal à cela ? Combien de parjures, de malheurs, d’obscénités, sont nés de la plaisanterie ! Mais ce n’est pas là ce qu’on nomme bons mots, direz-vous. Eh quoi ! ne voyez-vous pas que Paul bannit toute facétie ? C’est aujourd’hui un temps de guerre, de combat, de veille, de précaution, d’armement, de lutte : le rire n’a point de place ici ; car il est du monde.

Écoutez ce que dit le Christ : « Le monde se réjouira, mais vous, vous serez affligés ». (Jn. 16,20) Le Christ a été crucifié pour vos fautes, et vous riez ? Il a été souffleté, il a subi mille tourments pour vous arracher au malheur et à la tempête : et vous prenez vos aises ? N’est-ce pas là plutôt l’irriter ? Mais puisque quelques personnes regardent cela comme une chose indifférente, et que d’ailleurs il est difficile de s’en défendre, parlons-en un peu, et montrons-en tout le danger. En effet, ce mépris des choses indifférentes vient d’une inspiration du diable. D’abord, si la chose était réellement indifférente, elle ne serait pas à mépriser pour cela, à cause des grands maux qu’elle engendre ou dont elle facilite les progrès, à cause de la fornication qui en est souvent le résultat ; mais vous allez voir qu’elle n’est pas indifférente. Considérons quelle en est l’origine, ou plutôt représentons-nous le saint tel qu’il doit être, doux, calme, triste, gémissant, affligé. Donc le diseur de bons mots n’est pas saint : que dis-je ? fût-il païen, il est un objet de mépris : pareille licence n’est accordée qu’aux histrions. Qui dit obscénité, dit plaisanterie. Qui dit rire indécent, dit plaisanterie. Écoutez la parole du prophète : « Servez Dieu en crainte, et exprimez-lui votre allégresse avec tremblement ». (Psa. 2,11) La plaisanterie énerve l’âme, la rend molle et nonchalante : souvent elle enfante l’invective, et allume des guerres.

3. Mais quoi ! ne comptez-vous point parmi les hommes ? Abjurez donc les occupations de l’enfance. Vous ne souffrez pas que votre serviteur laisse échapper sur la place une parole inconvenante ; et vous, qui prétendez être serviteur de Dieu, vous y proférez des facéties ? Il faut s’estimer heureux de n’être pas surpris quand on est de sang-froid : mais comment échapper quand on s’abandonne ? On s’enferrera soi-même, et les artifices du diable, ses attaques deviendront superflues. Voulez-vous encore une preuve ? Considérez ce que c’est qu’un homme plaisant : on appelle ainsi un homme léger, mobile, dont l’esprit souple revêt toutes les formes ; nous voilà bien loin