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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/540

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celle du sacrificateur et celle de la victime. Car le sacrificateur est le premier sacrifié ; il est mort au moment où il tue ; et sous les coups de ce mort tombe un vivant : car les blasphèmes que celui-ci profère, ses invectives, ses récriminations, n’est-ce point pour une âme autant de plaies incurables ? Voyez-vous que ce n’était pas une hyperbole ?

Voulez-vous encore une autre preuve pour vous convaincre que l’avarice est bien une idolâtrie, et quelque chose de pire que l’idolâtrie ? Les idolâtres adorent les créatures de Dieu : « Ils vénérèrent et servirent la créature plus que le Créateur ». (Rom. 1,25) Vous, vous adorez votre propre créature. Car ce n’est pas Dieu qui a créé l’avarice : c’est votre cupidité insatiable qui l’a imaginée. Et voyez quelle folie, quelle dérision ! Ceux qui adorent les idoles, respectent ce qu’ils adorent ; si quelqu’un en médit, les injurie, ils prennent leur défense ; mais vous, je ne sais quelle ivresse vous pousse à adorer une, chose, qui, loin d’être à l’abri du reproche, est pleine d’impiété. Vous êtes donc pires que les idolâtres : car vous ne pouvez prétendre pour votre justification que l’objet de votre culte n’est pas mauvais. Sans doute ils sont inexcusables : mais vous l’êtes encore bien davantage, vous qui ne cessez d’accuser l’avarice, de vous déchaîner contre ses adorateurs, ses serviteurs, ses fidèles. Si vous le voulez, nous examinerons ensemble l’origine de l’idolâtrie. Un sage raconte qu’un homme riche, désolé de la mort prématurée de son fils, et inconsolable dans sa douleur, fit faire, pour soulager son deuil, une image de celui qu’il avait perdu ; et qu’à force de contempler ce portrait inanimé, il s’imaginait voir revivre son enfant dans cette figure. Des complaisants, qui se faisaient un Dieu de leur ventre, honorant cette image pour flatter le père, poussèrent cette pratique jusqu’à l’idolâtrie. L’idolâtrie eut donc pour principes la faiblesse d’âme, une habitude déraisonnable, et l’avidité.

Il n’en est pas ainsi de l’avarice : elle provient aussi de la faiblesse, mais d’une faiblesse pire ; il ne s’agit point ici d’un fils perdu, d’un deuil à consoler, de flatteries décevantes. De quoi donc ? Je vais vous le dire. Caïn frustra Dieu, gardant pour lui-même ce qui était dû au Seigneur, il lui offrit ce qu’il devait conserver, et le mal commença au préjudice de Dieu. En effet, si nous lui appartenons nous-mêmes, à plus forte raison faut-il en dire autant des prémices de nos biens. La concupiscence se porta ensuite sur les femmes : « Ils virent les femmes des hommes, et ils tombèrent dans la concupiscence » (Gen. 6,2) ; après quoi, elle se tourna vers les richesses. En effet, vouloir l’emporter sur autrui dans la possession des biens charnels, cela n’a pas d’autre principe que le refroidissement de la charité ; la cupidité n’a pas d’autre source que l’orgueil, la haine des hommes et le mépris. Ne voyez-vous pas combien la terre est grande ? comment l’air et le ciel occupent bien plus d’espace qu’il ne serait nécessaire ? C’est pour éteindre en vous la cupidité, que Dieu a donné tant d’extension à des choses créées : néanmoins, vous persistez dans vos rapines ; on vous dit que l’avarice est une idolâtrie, et vous ne frissonnez pas ? Voulez-vous devenir maître de la terre entière ? Mais l’héritage du ciel ne vous est-il pas promis, à condition que vous vous priverez ?

4. Dites-moi, si l’on vous donnait la faculté de tout posséder, refuseriez-vous ? Eh bien ! il ne tient qu’à vous maintenant, si vous le voulez. On voit des gens qui gémissent, quand il faut faire l’abandon de leur fortune, et qui préféreraient l’avoir mangée, plutôt que de la voir passer entre les mains d’autrui. Je ne puis vous guérir de cette faiblesse, car c’en est une : mais, tout au moins, par votre testament, instituez le Christ pour votre héritier. Vous auriez dû lui donner de votre vivant, c’eût été la marque d’une volonté droite : du moins que la nécessité vous rende généreux. Si le Christ nous a prescrit de donner aux pauvres, c’est pour que nous vivions en sages, pour que nous apprenions à mépriser les richesses, à dédaigner les choses terrestres. Ce n’est plus mépriser les richesses que d’en faire l’abandon à tel ou tel quand on meurt et qu’on cesse d’en être maître ; ce n’est point par libéralité que vous donnez alors, mais par nécessité : le bienfaiteur, c’est la mort, et non pas vous. Une telle conduite n’est pas celle de l’affection, mais celle de la haine. Mais, tout au moins, cédez à cette extrémité, corrigez-vous à cette heure suprême. Comptez vos usurpations, vos rapines, et rendez le tout au quadruple ; c’est ainsi que vous vous justifierez devant Dieu. Mais il en est qui poussent la démence et l’aveuglement au point de ne pas comprendre, même alors, quel est leur devoir : ils agissent