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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/545

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Écoutez encore cet autre passage : « Est-ce que la femme oubliera d’avoir pitié des rejetons de son sein ? Mais, quand bien même la femme oublierait ces choses, je ne vous oublierai pas, dit le Seigneur ». (Isa. 49,45) Si Dieu ne vous aimait pas, pourquoi vous aurait-il créé ? Est-ce qu’il y était contraint ? Est-ce qu’il a besoin de nous, de notre ministère ? Est-ce que nous pouvons quelque chose pour lui ? Écoutez le prophète qui vous dit : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Seigneur, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens ». (Psa. 15,2) Mais les ingrats, les insensés, nous disent : La bonté de Dieu n’exigerait-elle pas que tous fussent égaux ?

Dis-moi, homme ingrat, qu’est-ce qui te paraît démentir la bonté de Dieu, et de quelle égalité parles-tu ? Un tel, répond-il, est estropié de naissance, un autre est fou et possédé ; un autre, parvenu à l’extrême vieillesse, se trouve avoir passé toute sa vie dans la pauvreté, un autre dans les infirmités les plus cruelles : tout cela est-il l’œuvre d’une providence ? L’un est sourd, l’autre muet ; un troisième pauvre ; un quatrième, qui n’est qu’un scélérat tout chargé de crimes, jouit de l’opulence, entretient des prostituées et des parasites, possède une magnifique demeure, mène une vie que rien ne trouble. On rassemble beaucoup d’autres exemples de ce genre, et l’on en forme un long réquisitoire contre la Providence divine. Quoi donc ? la Providence n’est pour rien là-dedans ? Que leur répondre ? Si nous avions affaire à des païens, convaincus néanmoins que le monde obéit à une direction, nous pourrions rétorquer leur objection, et leur dire : Ah ! la Providence n’y est pour rien : et pourquoi donc adorez-vous des dieux ? pourquoi vous prosternez-vous devant des démons et des héros : car s’il y a une providence, il y a quelqu’un qui préside à tout. Mais si nous avons devant nous des hommes, soit chrétiens, soit païens, dont les croyances soient ébranlées et chancelantes, que leur dire ? Eh quoi ! dirons-nous ; le hasard aurait-il pu enfanter tant de biens ? cette lumière quotidienne, cet ordre qui règne parmi les êtres, cette marche régulière des astres, ce retour périodique des nuits et des jours, cette harmonie de nature dans les plantes, les animaux, les hommes ? Qui donc est-ce, dites-moi, qui régit tout cela ? S’il n’y avait pas de chef, si le hasard avait tout formé, qui aurait arrondi par-dessus la terre et les eaux cette belle et grande voûte du ciel ? Qui ferait revenir les saisons propres à la production des fruits ? qui aurait mis tant de vigueur dans les graines et dans les plantes ? Ce qui vient du hasard a nécessairement les caractères du désordre ; ce qui est bien ordonné est l’ouvrage de l’art.

En effet, dites-moi, quel est, sous nos yeux, le produit du hasard où ne dominent pas le désordre et la confusion ? Et non seulement du hasard, mais de toute main malhabile ? Par exemple, soient données des poutres, des pierres et de la chaux : que maintenant un homme inexpérimenté dans l’art de bâtir essaie d’en former un édifice : est-ce qu’il ne va pas tout perdre, tout gâter ? Ou bien encore, supposez un esquif sans pilote, muni d’ailleurs de tout ce que peut avoir un esquif, sauf un pilote : notez bien qu’il s’agit d’un navire complètement équipé : pourra-t-il naviguer ? Et cette immense terre suspendue au-dessus des flots, si une force ne la retenait, pourrait-elle, je vous le demande, tenir bon si longtemps ? Est-ce admissible ? Y a-t-il assez de moqueries pour une pareille hypothèse ? Si maintenant la terre porte en outre le ciel, voilà un nouveau fardeau : si au contraire le ciel est porté par l’eau, une autre question surgit. Mais tout est l’œuvre de la Providence. En effet, ce qui repose sur l’eau, ne doit pas être convexe, mais concave. Pourquoi ? parce que les corps concaves plongent complètement ; par exemple les vaisseaux : au contraire, les corps convexes demeurent tout entiers en l’air, et ne baignent que par leurs extrémités. Il est donc besoin d’un corps solide, dur et résistant, pour supporter le fardeau. Est-ce l’air, maintenant, qui porte le ciel ? Mais l’air est un corps encore bien plus mou et moins dense que l’eau, incapable de rien supporter, à plus forte raison une masse aussi énorme. Enfin, si nous voulions épuiser ce sujet de la Providence, l’embrasser dans son ensemble et dans ses détails, l’éternité ne nous suffirait pas. Je vais maintenant demander à celui qui s’occupe de ces recherches : ces choses proviennent-elles, oui ou non, d’une providence ? S’il répond négativement, alors je lui ferai cette autre question : D’où proviennent-elles donc ? Il ne saura que répondre. A plus forte raison doit-on