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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/546

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s’abstenir de toute vaine curiosité de ce genre au sujet des choses humaines. Pourquoi ? Parce que l’homme est supérieur à tout le reste, et que les choses dont j’ai parlé sont faites pour lui, et non pas lui pour elles.

4. Si donc vous ne savez pas comprendre combien est sage et habile la Providence, comment pourrez-vous pénétrer ses desseins ? Dites-moi pourquoi elle a fait l’homme si petit, et l’a placé si bas au-dessous du ciel, au point qu’il peut douter des phénomènes qui s’y passent ? Pour quelle raison les régions du Nord et celles du Midi sont-elles inhabitables ? Dites-moi pourquoi les nuits sont plus longues en hiver et plus courtes en été ? D’où, viennent les froids rigoureux, les chaleurs excessives, pourquoi nous avons un corps périssable ? Je vous ferai mille autres questions pareilles, et, si vous le voulez, je ne cesserai de vous interroger et de vous embarrasser. Ainsi ce qui distingue particulièrement la Providence, c’est ce qu’il y a d’ineffable dans ses desseins. Car sans doute quelqu’un se serait avisé d’attribuer à un homme la création de l’univers, si ces obstacles n’arrêtaient pas notre intelligence. Mais un tel est pauvre, dira-t-on, et la pauvreté est un mal. Et la maladie ? et la cécité ? Tout cela n’est rien, mon cher auditeur ; il n’y a qu’un mal, le péché : et c’est la seule chose que nous devions examiner. Mais nous omettons de rechercher les principes des maux réels, pour nous jeter dans de vaines spéculations. Pourquoi nul de vous ne se demande-t-il jamais pourquoi il a péché ; s’il était en lui de pécher ou de ne pas pécher ? Qu’ai-je besoin de longs discours ? Je n’ai qu’à regarder en moi-même : ai-je maîtrisé enfin mon emportement ? ai-je dompté ma colère, ou par honte, ou par respect humain ? Quand j’aurai trouvé ce que je cherche, alors je saurai que le péché dépend de moi.

De cela nul ne s’inquiète, nul ne s’occupe, et, comme dit le livre de Job : « L’homme au hasard nage dans ses discours ». (Job. 11,12) Que vous importe la cécité de l’un, la pauvreté de l’autre ? Ce n’est pas cela que Dieu vous a prescrit de considérer, mais bien votre conduite, à vous. Si vous doutez que le monde soit dirigé par une puissance, vous êtes le plus insensé des hommes : si, au contraire, vous êtes convaincu de ce point, pourquoi doutez-vous qu’il faille plaire à Dieu ? « Rendant grâces toujours et pour toutes choses à Dieu ». Entrez chez un médecin, et vous le verrez, dès qu’on lui présente un blessé, le traiter par le fer et le feu. Je ne dis pas cela pour vous : mais entrez chez un artisan : vous ne demandez pas compte de ce qui se fait dans son atelier, bien que vous n’y compreniez rien, et que beaucoup de choses vous étonnent ; comme, par exemple, quand vous voyez tourner un morceau de bois et en changer la forme. Mais plutôt je mettrai sous vos yeux un art plus facile, comme celui des peintres : vous ne saurez que penser. Dites-moi, en effet, l’artiste ne paraît-il pas perdre son temps ? À quoi bon ces lignes et ces contours ? mais attendez qu’il applique les couleurs : alors vous trouverez cet art merveilleux, sans être plus éclairé pour cela.

Mais pourquoi parler des artisans, des peintres, nos compagnons de servitude ? Dites-moi comment l’abeille fait ses rayons, et alors vous me parlerez de Dieu. Tâchez de comprendre l’industrie des fourmis, de l’araignée, de l’hirondelle, et vous pourrez alors me parler de Dieu. Si vous êtes savant, instruisez-moi : mais vous ne le pourriez pas. Ne cesseras-tu donc pas, mon cher auditeur, de perdre ton temps à des choses inutiles ? Car ce sont là vraiment des inutilités ; ne cesseras-tu pas de t’abandonner à une vaine curiosité ? Ici, la vraie science, c’est l’ignorance, attendu que les plus habiles sont ceux qui font profession de ne rien savoir, et les plus fous ceux qui s’occupent de pareilles recherches. Ainsi une profession de savoir n’atteste pas toujours la science : quelquefois aussi elle est une marque de déraison. Dites-moi, en effet : si de deux hommes l’un se piquait de mesurer le volume, d’air qui s’étend de la terre au ciel au moyen de câbles tendus, et que l’autre se moquât d’une telle prétention et confessât sa propre ignorance, de qui ririons-nous, dites-moi ? de celui qui prétendrait savoir ou de l’ignorant : du premier assurément. L’ignorant serait donc le plus sage des deux. Et si l’un se vantait de pouvoir dire combien il y a de mesures d’eau dans la mer, que l’autre au contraire, avouât son ignorance, ne serait-ce pas encore la même chose ? Assurément. Pourquoi ? Parce que la prétendue science du premier ne serait qu’une ignorance renforcée. Celui qui avoue ne pas savoir, sait en réalité quelque chose. Quoi donc ? Que de tels calculs sont impossibles à l’homme : et ce n’est pas