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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/547

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peu de chose. Au contraire, celui qui prétend savoir est ignorant, entre tous, de ce qu’il croit savoir, et c’est cela même qui le rend ridicule.

Hélas ! combien nous recevons de leçons propres à brider cette curiosité intempestive et immodérée ! et pourtant nous ne les écoutons pas ; nous nous enquérons de la vie les uns des autres, de la raison pour laquelle un tel est aveugle, tel autre pauvre. Voilà des propos qui nous mènent tout droit à d’autres questions aussi absurdes, par exemple, pourquoi une telle est femme : pourquoi nous ne sommes pas tous du sexe masculin, pourquoi il y a des ânes, des bœufs, des chiens, des loups ; pourquoi des pierres, pourquoi du bois : on n’en finirait pas. C’est pour cela que Dieu a prescrit à notre savoir des bornes qu’il a mises dans la nature même. Et considérez quel excès de curiosité : nous pouvons contempler sans péril l’immense intervalle qui sépare le ciel de la terre ; mais si nous montons au sommet d’une tour et que nous nous penchions un peu pour regarder à nos pieds, un vertige s’empare de nous aussitôt. Dites-moi la raison de ceci : mais vous ne sauriez la trouver : Pourquoi l’œil porte-t-il plus loin que nos autres organes et embrasse-t-il un plus vaste horizon ?

5. Et l’on peut dire la même chose de l’ouïe. La voix d’un homme ne saurait remplir l’espace que son œil mesure, qui transmet le bruit à son oreille. Pourquoi nos membres ne jouissent-ils pas d’égales prérogatives ? Pourquoi n’ont-ils pas un seul usage, une seule place : Paul aussi a scruté ce mystère, ou plutôt il ne l’a pas scruté, il était trop sage pour cela ; mais arrivé à ce point, il se borne à dire « Il a placé chaque chose selon qu’il a voulu » : la volonté de Dieu, voilà pour lui la clé de l’énigme. Renonçons donc, nous aussi, à ce genre de recherches, et bornons-nous à rendre grâces à Dieu en toute occurrence, selon l’avis qu’il nous donne. Telle est la conduite d’un bon serviteur, d’un homme sage et intelligent : l’autre conduite est celle d’un bavard, d’un oisif, d’un curieux. Considérez comme, parmi les serviteurs, les plus mauvais, ceux qui ne sont bons à rien, sont bavards, badauds, occupés des affaires, des secrets de leurs maîtres : tandis que ceux qui sont intelligents et honnêtes ne songent qu’à une chose, à faire leur service. Qui parle tant ne fait rien ; qui fait beaucoup ne parle pas hors de propos. Voilà pourquoi Paul écrivait au sujet des veuves : « Non-seulement oisives, mais encore causeuses et curieuses ». (1Ti. 5,13)

Dites-moi, quelle est la distance la plus grande, celle qui sépare des enfants les hommes de notre âge, ou celle qui sépare Dieu des hommes ? Des moucherons à nous, et de nous à Dieu, quel est le plus grand intervalle ? Il est clair que c’est le dernier. Pourquoi donc vous creuser ainsi l’esprit ? « Rendez grâces pour toutes choses ». Mais, dira-t-on, si un païen m’interroge, que lui répondrai-je ? Il voudra savoir de moi s’il y a une Providence ; car, pour son compte, il le nie. Intervertis donc les rôles, interroge-le à ton tour. Eh bien ! il n’admet pas qu’il y ait une Providence. Qu’il y en a une, c’est ce qui résulte évidemment de ce qui a été dit : mais il résulte en même temps de notre impuissance à nous en rendre compte, qu’elle est incompréhensible. Si, dans la conduite même des hommes, beaucoup de procédés demeurent obscurs pour nous, et que nous nous rendions néanmoins, quelque étranges qu’ils nous paraissent, à combien plus forte raison la même chose doit-elle être vraie de Dieu ! Mais en Dieu il n’y a rien de déraisonnable, rien qui paraisse tel aux fidèles. Remercions-le donc de toutes choses, glorifions-le en toute occurrence. « Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu »… Si vous vous soumettez à cause d’un magistrat, ou pour de l’argent, ou par respect, à plus forte raison devez-vous le faire par crainte de Dieu. Qu’il y ait échange de servitude, de soumission ; de la sorte, il n’y aura plus de servitude… Que personne n’ait rang d’esclave ; personne, rang d’homme libre ; il vaut mieux être à la fois maîtres et esclaves, et se servir mutuellement ; et un pareil esclavage est préférable à la liberté dans d’autres conditions. En voici la preuve : Supposez qu’une personne ait cent serviteurs dont aucun ne fasse son office ; mettez d’un autre côté cent amis qui se servent mutuellement. Quels seront les plus heureux, les plus joyeux, les plus contents ? Ici point de colère, point de querelles, point de courroux, rien de pareil : là, crainte et abjection ; contrainte d’une part, liberté de l’autre. Les uns servent parce qu’on les y force, les autres pour se rendre mutuellement la pareille. Telle est