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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/55

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cette chaleur que produit l’amour du prochain ; elle est plus morte qu’un cadavre. Voyez au contraire le pauvre Lazare ; il se retranche dans la citadelle de la Sagesse, et il brille de l’éclat le plus vif ; la faim le dévore, il n’a pas même le nécessaire, et cependant, loin de blasphémer contre Dieu, il supporte ses maux avec courage. Voilà l’énergie de l’âme ; voilà le signe de la force et de la santé. Quand cela manque, n’est-il pas évident que l’âme est morte ? N’est-elle pas morte, cette âme que le diable envahit ; qu’il frappe, qu’il perce, qu’il dévore, sans qu’elle sente aucune douleur, sans qu’elle se plaigne, lors même qu’on lui enlève ses forces ? Le démon s’élance sur elle, elle demeure immobile, elle reste insensible comme un cadavre. Voilà ce qu’elle est nécessairement, dès qu’elle a perdu la crainte de Dieu, dès qu’elle s’est laissée aller à la négligence : son état est plus déplorable que celui des morts. Elle ne se corrompt point sans doute, elle ne tombe pas en poussière comme le corps, mais elle se plonge : dans l’ivrognerie, dans l’avarice, dans de coupables amours, dans les passions les plus funestes. Quoi de plus horrible ?
Si vous voulez voir tout ce qu’il y a d’affreux dans A état, donnez-moi une âme pure, et alors vous pourrez voir clairement combien est hideuse une âme impure. Non, maintenant vous ne pouvez pas vous en faire une idée exacte ; car, tant que nous sommes habitués à une mauvaise odeur, mous ne sentons pas tout te qu’elle a de détestable. C’est après nous être nourris de paroles spirituelles, que nous reconnaissons toute l’étendue du mal, lors même que plusieurs le voient avec indifférence. Je ne parle pas encore de l’enfer. Mais, si vous le voulez, bornons-nous à la vie présente, ne parlons pas même de celui qui commet de honteuses actions, considérons seulement celui qui tient de honteux discours ; voyez combien il est ridicule, comme il s’outrage lui-même, semblable à cet homme dont la bouche vomit l’ordure et qui ainsi souille ses propres vêtements. Si ce qui jaillit de sa bouche est impur, quelle n’est pas l’infection de la source elle-même ? « La bouche parle de l’abondance du cœur ». (Mt. 12,34) Ce que je déplore, ce n’est pas seulement ce mot en lui-même, mais c’est l’indifférence de tant ale chrétiens qui n’en aperçoivent point la turpitude. Voilà ce qui multiplie le mal outre mesure ; c’est que l’on pèche, sans se douter que l’on souille sa conscience.
Voulez-vous donc savoir quel est le crime de ceux qui tiennent des discours honteux ? Voyez rougit de vos propos obscènes ceux qui les entendent. Quoi de plus vil, quoi de plus méprisable qu’un homme tenant de mauvais discours ? Il se met lui-même au rang des histrions et des femmes de mauvaise vie. Que dis-je ? Ils ont plus de pudeur que vous ; comment pouvez-vous former votre épouse à la sagesse, quand par vos discours vous l’excitez à la débauche ? Mieux vaudrait vomir du pus que prononcer un mot obscène. Si votre bouche sent mauvais, on ne vous admettra pas à un, festin ; et quand votre âme exhale une odeur si infecte, vous osez participer aux sacrés mystères ! Si quelqu’un venait Placer sur votre table un vase infect, vous prendriez un bâton pour le chasser. Dieu est présent sur cette table qu’il a formée, (car sa table, c’est notre bouche toute remplie de grâces) et vous proférez des paroles plus impures que le vase le plus infect, et vous ne craignez pas de l’irriter ! Comment ne s’indignerait-il pas ? lui qui est la sainteté, la pureté même ; rien ne l’irrite autant que de telles paroles. Rien non plus ne donne autant d’impudence et de témérité ; que ces paroles proférées ou entendues. Rien ne rompt les nerfs de la pudeur autant que la flamme allumée par ces discours. Dieu a déposé un parfum sur vos lèvres ; vous lui substituez des paroles plus fétides qu’un cadavre ; vous tuez votre, âme, vous la frappez d’immobilité.
Quand vous injuriez quelqu’un, c’est le fait, non de votre âme, mais de la colère ; quand vous prononcez des mots obscènes, ce n’est point votre âme qui parle, c’est la passion ; si vous commettez des médisances, elles ont l’envie pour principe ; si vous dressez des embûches, ce n’est point votre âme qui agit, c’est l’ambition. Rien de tout cela n’est son œuvre, c’est l’œuvre des passions et des maladies qu’elle renferme. De même que la corruption n’est point l’œuvre du corps, mais bien de la mort et de, la souffrance qui agissent sur le corps, de même aussi ces désordres résultent des passions qui sont dans l’âme. Si vous voulez entendre la voix d’une âme vivante, écoutez saint Paul, quand il dit : « Pourvu que nous ayons des aliments et de quoi nous vêtir, nous sommes contents » ; et encore : « La piété est un gain considérable ». (1Tim. 5,6-8)