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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/558

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chercher un saint pauvre en état de bénir votre maison, d’y apporter, en entrant, la bénédiction de Dieu, et invite-le. Faut-il ajouter encore quelque chose ? qu’aucun de vous, mes bien-aimés, n’ambitionne de se marier avec une femme plus riche que lui : mieux vaudrait la choisir plus pauvre. Une femme riche vous apportera moins de jouissances par sa fortune que d’ennui par ses exigences, ses prétentions, ses grandes dépenses, ses paroles hautaines et méprisantes. Elle dira peut-être Je n’use rien qui soit à toi, je m’habille à mes dépens et sur les revenus qui me viennent de ma famille. Que dis-tu là ? Tu t’habilles à tes dépens ? quelle folie ! Ton corps ne t’appartient plus : et tu t’appropries les biens ! Une fois mariés, l’homme et la femme ne font plus qu’un, et vous auriez non pas une fortune commune, mais deux fortunes distinctes ! O fatal amour de l’argent ! Vous n’êtes qu’un même être, une même vie, et vous parlez encore du tien et du mien ! Parole exécrable et criminelle, inventée par l’enfer ! Dieu nous a rendu communes des choses plus nécessaires que les richesses ; il n’est pas permis de dire : La lumière est à moi ; le soleil est à moi ; l’eau est à moi ; les biens les plus importants nous sont communs ; l’argent seul ne le serait pas entre deux époux ! Périsse mille fois l’argent, ou plutôt, non : mais périsse cet attachement à l’argent, qui ne sait pas en user, et qui l’estime au-dessus de tout !

Apprends ces choses-là, avec le reste, à ta femme : mais avec une grande bonté. L’exhortation à la vertu a par elle-même quelque chose de trop sévère, surtout si elle s’adresse à une jeune personne délicate et timide. Quand donc tu t’entretiendras avec elle de notre philosophie, mets-y beaucoup de grâces, et cherche principalement à arracher de son âme le tien et le mien. Si elle dit : Ceci est à moi, réponds aussitôt : que réclames-tu comme étant à toi ? Je l’ignore : car, pour moi, je n’ai rien en propre ; et ce n’est pas telle ou telle chose, c’est tout ce qui t’appartient. Passe-lui donc cette parole. Ne vois-tu pas comme on fait avec les petits enfants ? Quand un enfant nous a pris un objet de la main, et veut en avoir encore un autre, nous les lui abandonnons tous les deux, et nous disons. Oui, cela est à toi, et cela aussi. Faisons de même pour la femme, car c’est une âme d’enfant. Si elle dit : Ceci est à moi, dis-lui : Oui, tout est à toi, et moi aussi, tout le premier, je suis à toi. Et ce ne sera pas flatterie, mais sagesse. Ainsi, tu pourras tour à tour apaiser sa fougue, et guérir son abattement. Il y a flatterie, quand on s’abaisse dans une intention coupable : ici au contraire, il n’y a qu’une grande sagesse. Dis donc à ta femme : Et moi aussi, je suis à toi, ma chère fille ; c’est le précepte que m’adresse Paul en disant : « Le mari n’est pas maître de son propre corps, mais c’est l’épouse ». (1Co. 7,4) Si je ne suis plus maître de mon corps, s’il t’appartient, à plus forte raison en est-il ainsi de l’argent. Par un tel langage vous la calmez, vous éteignez son courroux, vous faites honte au diable : enchaînée par ces paroles, votre femme devient plus soumise qu’une esclave achetée à prix d’argent. Apprenez-lui donc par vos discours à ne plus employer ces mots de Tien et de Mien. Jamais ne l’appelez par son nom tout court : flattez-la, marquez-lui des égards, une affection profonde. Honorez-la, et elle ne désirera pas d’autres hommages : la gloire extérieure aura peu de prix à ses yeux, si vous la glorifiez vous-même. Mettez-la au-dessus de tout en toute chose, en beauté, en intelligence ; et vantez-la. Par là vous l’amènerez à ne faire aucune attention aux étrangers, à dédaigner tout ce qui n’est pas vous-même. Enseignez-lui la crainte de Dieu : tout le reste s’ensuivra en abondance, et les prospérités rempliront votre demeure. Si nous cherchons les biens éternels, les biens périssables ne nous feront pas défaut : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mat. 6,33) Que devront être les enfants issus de parents aussi vertueux ; les esclaves attachés au service de tels maîtres ; enfin, tout ce qui les approche ! Toutes ces personnes ne seront-elles pas, elles aussi, comblées de prospérités de tout genre ? En général, les serviteurs se modèlent sur leurs maîtres, affectent leurs passions, aiment ce qu’ils leur ont appris à aimer, parlent comme eux, vivent comme eux. Si nous travaillons à nous modeler ainsi nous-mêmes, les yeux fixés sur les Écritures, elles nous donneront les leçons les plus instructives : par là, nous pourrons plaire au Seigneur, passer vertueusement toute la vie présente, et obtenir enfin les biens promis à ceux qui aiment Dieu desquels puissions-nous tous être jugés dignes, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur