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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/561

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d’autres. Pourtant, elle ne dit pas : J’attendrai que mon fils ait grandi, afin qu’il voie le monde ; je le laisserai jouir des années de son enfance. Anne écarta toutes ces pensées, et ne songea qu’à une chose, à consacrer tout d’abord à Dieu cette offrande spirituelle.

Hommes, rougissons de trouver chez une femme tant de sagesse : elle offre son fils à Dieu, et le laisse dans le temple. Si son mariage lui valut tant de gloire, c’est qu’elle avait commencé par chercher les biens spirituels, c’est qu’elle avait offert ses prémices : voilà pourquoi son sein devint fécond, et lui donna d’autres enfants encore : voilà pourquoi elle vit Samuel illustre dans le monde même. Car si les hommes reconnaissent les hommages qu’on leur rend, ne doit-il pas en être ainsi de Dieu, à plus forte raison, lui qui fait du bien même à ceux qui le négligent ? Jusques à quand serons-nous chair ? jusques à quand vivrons-nous penchés vers la terre ? Faisons tout passer après les soins que nous devons à nos enfants, après l’éducation qu’il faut leur donner dans la discipline et la correction du Seigneur. Si nous leur apprenons tout d’abord la vraie sagesse, ce sera pour eux une fortune, une gloire qui effaceront les plus brillantes. Vous leur rendrez un moindre service en leur enseignant un métier ou les sciences profanes, qui les mettront en état de s’enrichir, qu’en leur enseignant l’art de mépriser les richesses. Si vous voulez qu’ils soient riches, prenez-vous-y de cette manière. Car le riche n’est pas celui qui a beaucoup de besoins et beaucoup de ressources, mais celui qui n’a besoin de rien. Voilà ce que vous devez enseigner à votre fils : nul trésor n’égale celui-là.

Ne visez pas à ce qu’il se signale dans les études profanes, mais occupez-vous de lui apprendre à mépriser la gloire du monde vous le rendrez ainsi capable de s’illustrer. Riche ou pauvre, tout le monde peut en faire autant : ce n’est pas affaire d’école ni de doctrine, mais œuvre de la divine parole. Ne visez pas à ce que votre fils vive longuement ici-bas, mais à ce que là-haut il vive éternellement. Assurez-lui les grands biens, sans vous inquiéter des petits. Écoutez Paul qui vous dit : « Élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur ». Ne vous inquiétez pas d’en faire un orateur, mais faites-en un sage. On peut, sans inconvénient, n’être pas un orateur mais si l’on n’est pas un sage, à quoi bon toute la rhétorique du monde ? On a besoin de bonnes mœurs, et non de beau langage ; de vertu, non d’éloquence ; d’œuvres, non de paroles. Voilà ce qui procure le royaume, voilà ce qui assure la possession des biens véritables. Au lieu d’aiguiser votre langue, purifiez votre âme. Ce n’est pas que je proscrive absolument ce genre d’études, mais il ne faut pas qu’on s’y adonne exclusivement. Ne vous figurez pas que les moines seuls aient besoin des leçons des Écritures : il n’est rien qui soit plus nécessaire aux enfants qui vont entrer dans le monde. Si un vaisseau bien équipé, un bon pilote, des matelots sont utiles non à celui qui ne s’éloigne pas du port, mais à celui qui est toujours en mer : il en est de même à l’égard du moine et du mondain. L’un est, pour ainsi dire, dans un port tranquille ; il vit exempt des soucis de la vie, à l’abri de toutes les tempêtes. L’autre est constamment en mer, il passe son existence au milieu des flots, en lutte avec les vagues : il faut qu’il soit prémuni quand bien même il n’aurait pas besoin de défense, ne fût-ce que pour fermer la bouche à autrui.

3. Ainsi donc, plus on sera haut placé dans ce monde, plus on aura besoin de cette éducation. Né dans le palais des rois, on s’y verra entouré de païens, de philosophes, hommes enflés de gloire mondaine, comme dans un lieu rempli d’hydropiques. Tels sont les cours : on n’y trouve qu’orgueil et vanité ; qui n’a pas ces vices, s’efforce de les acquérir. Représentez-vous votre fils entrant dans ce séjour, muni, comme un excellent médecin, de tous les instruments propres à guérir la fièvre générale, s’approchant de chacun, s’entretenant avec lui, et guérissant sa maladie au moyen du contre-poison des Écritures, et du langage de la vraie sagesse. Car, en ce qui regarde le moine, à qui parlera-t-il ? Aux murs, aux toits ? au désert, aux forêts ? aux oiseaux, aux arbres ? Une telle éducation n’est donc pas absolument indispensable au solitaire : néanmoins il tâche de se la donner, non pour la communiquer aux autres, mais dans son propre intérêt. Ce sont donc les gens du monde qui en ont particulièrement besoin : en effet, ce sont eux qui sont le plus exposés au péché. De plus, si vous voulez le savoir, dans le monde même, une telle science sera très-avantageuse à votre enfant. Car tous le respecteront après l’avoir entendu parler de la sorte, lorsqu’ils le verront