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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/562

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traverser le feu sans se brûler, et rester insensible à l’ambition : alors cette autorité qu’il ne désire point viendra le trouver, et le roi aura une grande déférence pour lui. Un homme pareil ne peut échapper aux regards. Parmi des gens en santé, l’homme sain peut demeurer caché aux yeux ; mais qu’il soit entouré de malades, la renommée ne peut manquer de porter son nom jusqu’aux oreilles du roi, qui chargera cet homme rare d’un vaste gouvernement.

Instruits de ces vérités, élevez vos enfants dans la discipline et la correction du Seigneur. Mais un tel est pauvre ? Eh bien ! qu’il reste pauvre : il ne sera pas inférieur pour cela aux habitants des palais : on l’admirera, sans qu’il soit le convive des rois, et bientôt il parviendra à cette dignité que le libre arbitre confère, et non l’élection. Si des hommes qui ne valent pas trois oboles, des cyniques, professant une philosophie qui ne vaut pas davantage (je parle de la philosophie des païens), ou plutôt en affichant le nom, font rentrer bien des gens en eux-mêmes, avec leur grossier manteau, et leur chevelure inculte, que sera-ce du philosophe véritable ? Si une vaine apparence, si une ombre de philosophie possède un tel pouvoir, qu’adviendra-t-il, du moment que nous aurons embrassé la vraie, la pure philosophie ? Ne serons-nous pas les objets du respect général ? Ne nous confiera-t-on pas avec pleine sécurité biens, femmes, enfants ? Mais il n’y a pas, non, il n’y a pas aujourd’hui de philosophe pareil : c’est donc en vain que nous chercherions quelque part un exemple. Il en est parmi les moines, il n’en est pas dans le monde. Qu’il y en a parmi les solitaires, j’en pourrais produire de nombreuses preuves : je me bornerai à vous en fournir une.

Vous connaissez sans doute, ou de vue, ou, tout au moins, par ouï-dire, l’homme dont je veux parler : l’admirable Julien. C’était un paysan, de basse naissance, de basse condition ; absolument étranger aux études profanes, mais tout rempli de la philosophie véritable. Quand il entrait dans les villes, ce qui arrivait rarement, l’affluence était plus grande que s’il se fût agi d’un rhéteur, d’un sophiste, de quelque personnage que ce fût. Mais que dis-je ? son nom même n’est-il pas encore aujourd’hui plus glorieux que celui du plus illustre monarque ? Eh bien ! si l’on voit de pareilles choses dans ce monde, dans ce monde où le Seigneur ne nous a promis aucun bien, où il nous a proclamés étrangers, songeons quelles sont aux cieux les récompenses réservées à de pareils hommes. S’ils obtiennent tant d’honneurs dans un séjour qu’ils ne font que traverser, de quelle gloire ne jouiront-ils pas dans leur patrie ? S’ils rencontrent tant de vénération aux lieux où la tribulation leur est promise, quel repos ne goûteront-ils pas là où les vrais honneurs leur sont promis ? Vous voulez maintenant que je vous cite des mondains ? Mais, à l’heure qu’il est, les exemples nous font défaut : non qu’il manque absolument de mondains vivant honnêtement ; mais aucun n’a atteint le faîte de la sagesse. Je vous renverrai donc aux exemples donnés par les saints de l’ancien temps. Combien d’hommes ayant femmes et enfants ont égalé ceux que je vous cite ! Mais il n’en est plus ainsi « à cause de la détresse présente », comme dit notre saint. Qui voulez-vous donc que je vous nomme ? Noé, ou Abraham ? le fils du premier, ou celui du second ? ou encore Joseph ? Ou bien voulez-vous que je passe aux prophètes ? à Moïse ? à Isaïe ?

4. Si vous le trouvez bon, nous nous porterons du côté d’Abraham, que l’on nous cite toujours entre tous. N’avait-il pas une femme ? N’avait-il pas des enfants ? Je ne fais que vous renvoyer ce que vous nous dites à nous-mêmes, Il avait une femme, mais ce n’est pas en cela qu’il était admirable : il était riche, mais ce n’est pas pour cela qu’il plut à Dieu ; il eut des enfants, mais ce n’est pas comme père qu’il a mérité le nom de bienheureux ; il avait trois cent dix-huit esclaves, mais ce n’est pas pour cette raison qu’on l’admirait. Pour quelle raison, alors ? Pour son hospitalité, son dédain des richesses, sa modération. Quel est en effet, dites-moi, le propre d’un sage ? n’est-ce pas de mépriser l’argent et la gloire ? de s’élever au-dessus de l’envie, de toutes les passions ? Eh bien ! faisons comparaître Abraham au milieu de nous, examinons-le, et montrons quel philosophe c’était. D’abord il comptait pour rien sa patrie : « Sors de ton pays, et de ta famille », lui fut-il ordonné ; et aussitôt il s’en alla. Il n’était pas attaché à sa maison, ni par habitude, ni autrement : sans quoi il ne l’eût pas quittée. Plus que personne il faisait bon marché de la gloire et des richesses ; vainqueur dans une guerre, pressé de recueillir les dépouilles de l’ennemi, il dédaigna de le faire.