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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/569

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pouvoir, qui donc aurait pu l’ébranler ? Il ne dit pas qu’elles l’entreprennent, il parle par supposition : voilà pourquoi il lit : « Je suis convaincu ». Il ne luttait pas, néanmoins il redoutait les pièges du malin. Écoutez plutôt : « Je crains que, comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ ». (2Co. 11,3) Oui, dira-t-on : mais, de plus, il emploie le même langage en parlant de lui-même : « Je crains qu’après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé ». Comment donc êtes-vous convaincu que personne ne vous séparera ?

5. Voyez-vous que ce langage est celui de l’humilité, de la retenue ? Déjà, en effet, il habitait le ciel : « Ma conscience ne me reproche rien » (1Co. 4,4), disait-il ; et encore : « J’ai terminé ma carrière ». (2Ti. 4,7) Ce n’est donc pas en cela que le diable l’entravait, mais en ce qui regardait ses disciples. Pourquoi ? Parce que la domination du diable avait un complice dans leur propre libre arbitre. Sur ce terrain le diable était quelquefois vainqueur mais plutôt ce n’est pas de Paul qu’il était vainqueur, c’est de l’apathie des tièdes. En effet, si Paul n’avait pas fait son devoir, par nonchalance où par toute autre raison, c’est lui qui aurait été vaincu : mais s’il ne négligeait rien et que seulement ses disciples fussent indociles, alors le diable triomphait non de Paul, mais de l’indocilité de ses disciples : ce n’est pas du médecin que la maladie avait raison, mais de la désobéissance du malade. Car, dès que le médecin a pourvu à tout, si le malade bouleverse tous ses arrangements ; c’est lui qui est le vaincu, et non pas le médecin. Ainsi le diable n’a jamais triomphé de Paul. D’ailleurs nous devons nous tenir heureux même de pouvoir lutter. A la vérité, tel n’est pas le souhait qu’il forme pour les Romains : il leur dit : « Il écrasera Satan sous vos pieds promptement ». (Rom. 16,20) Quant aux Éphésiens, c’est le vœu qu’il exprime en leur faveur : « A celui qui est puissant pour tout a faire bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons. ». (Eph. 3,20) Celui qui lutte est encore en danger : d’ailleurs il doit se trouver heureux, s’il ne tombe pas. C’est quand nous aurons quitté ce monde, que nous jouirons du triomphe. Soit, par exemple, une passion mauvaise : la repousser loin de soi, l’éteindre, voilà qui est admirable mais si c’est une chose impossible, du moins luttons, résistons sans relâche : si nous sortons du monde, luttant encore, nous sommes vainqueurs. Car il n’en est pas de même ici que dans l’arène : là, si vous ne renversez pas votre adversaire, vous n’êtes pas vainqueur : ici, vous êtes vainqueur, si vous n’êtes pas renversé ; si vous n’êtes pas jeté à bas, vous avez terrassé l’ennemi. Cela se conçoit deux athlètes aux prises luttent également pour la victoire ; et si l’un est renversé, l’autre est couronné. Il n’en est pas de même ici : le diable n’a en vue que notre défaite. Si donc je déjoue son projet, je triomphe : il ne vise pas à me renverser, mais à m’entraîner dans sa chute. Il est déjà vaincu, lui : car il a reçu le coup, il est perdu. Quant à sa victoire, elle ne consiste pas à gagner une couronne, mais à causer ma perte : de sorte que pour être victorieux il me suffit de rester debout sans le jeter à bas. Maintenant, la victoire sera éclatante, si, comme Paul, je le foule aux pieds tout à mon aise, comptant pour rien les choses présentes. Imitons ce saint : appliquons-nous à triompher du diable, et à ne lui donner aucune prise.

La richesse, l’argent, la vanité lui donnent prise : souvent elles le relèvent, souvent elles redoublent son impétuosité. Mais qu’est-il besoin de lutte et de combat ? Celui qui lutte est dans l’incertitude du résultat : il ignore s’il ne sera pas vaincu et pris lui-même ; mais celui qui foule aux pieds est assuré de la victoire. Foulons donc aux pieds la puissance du diable, foulons aux pieds les péchés, j’entends toutes les passions mondaines, colère, concupiscence, orgueil et le reste : afin que parvenus là-haut, nous ne soyons pas convaincus d’avoir laissé sans usage le pouvoir que Dieu nous a octroyé. Car c’est ainsi que nous obtiendrons les biens futurs. Mais si nous nous montrons indignes de cette prérogative, comment de plus grandes pourraient-elles nous être conférées ? Si nous n’avons pas su fouler aux pieds l’ange rebelle, le déshonoré, le méprisé, comment notre Père nous mettrait-il en possession du patrimoine ? Si nous n’avons pas su triompher d’un être placé si bas, quel titre aurons-nous à entrer dans la maison paternelle ? Dites-moi : Si vous aviez un fils, et que ce fils négligeât ceux de vos serviteurs