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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/135

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pourvoyant à sa propre sûreté, il eût jugé que cela le forçait à prendre le parti de la vengeance ; dans ce cas personne ne lui refuserait les couronnes de la modération.
7. Eh bien ! David n’a pas même fait ainsi il a trouvé une sorte de sagesse nouvelle et extraordinaire, et ni le souvenir du passé, ni la crainte de l’avenir, ni les sollicitations du chef de l’armée, ni la solitude du lieu, ni la facilité du meurtre, rien en un mot ne put le déterminer à tuer Saül ; il épargna cet ennemi, ce persécuteur, comme il eût fait d’un bienfaiteur qui lui eût rendu de grands services. Quelle excuse aurons-nous donc, nous qui nous souvenons des offenses passées, qui nous vengeons de ceux qui nous ont contristés, lorsque ce grand personnage qui, sans avoir fait de mal, avait eu tant à souffrir, et qui s’attendait que des maux plus nombreux encore et plus cruels lui reviendraient du salut de son ennemi, nous donne l’exemple d’un ménagement tel, qu’il préfère courir lui-même des dangers, et vivre dans la crainte et l’anxiété plutôt que d’immoler, comme il en avait le droit, l’homme qui doit lui créer mille et mille tourments ?
Il nous a donc prouvé sa sagesse, non seulement en ne tuant pas Saül, quand la nécessité était si pressante, mais encore en ne proférant contre lui aucune parole d’outrage, et cela, quand celui qui aurait été insulté ne devait point l’entendre. Et à nous, il nous arrive souvent de dire du mal même de nos amis lorsqu’ils ne sont pas là ; David, lui, n’a pas mal parlé, même de son ennemi, d’un ennemi qui l’avait tant persécuté. Voilà donc ce qui nous fait voir sa sagesse ; et quant à sa miséricorde, à sa bonté sous tous les rapports, elle éclate dans ce qu’il fit ensuite. Il coupa la frange du manteau de Saül, emporta son urne d’eau, et s’en alla au loin ; puis, s’arrêtant, il cria (1Sa. 24,5 ; 26, 13 et suiv), et montra ces objets à celui qu’il venait de laisser sain et sauf ; ce qu’il ne fit pas par ostentation et par orgueil, mais dans l’intention de le persuader par ses actes, qu’il était mal fondé et qu’il perdait sa peine à le suspecter comme un ennemi ; il s’efforçait par là de le ramener à son amitié. Mais n’ayant pas réussi, même par cette conduite, à persuader Saül, et, quoique pouvant se défaire de lui, il préféra s’exiler de son pays et aller vivre à l’étranger, éprouvant des peines journalières pour se procurer la nourriture nécessaire, plutôt que de continuer à mener dans son pays une vie qui aurait fait le tourment de son insidieux persécuteur. Quoi de plus doux que cette âme ? Il avait réellement bien raison de dire : Seigneur, souviens-toi de David et de toute sa mansuétude (Psa. 131,1). Imitons-le donc, nous aussi ; ne disons aucun mal de nos ennemis, ne leur en faisons aucun ; faisons-leur même du bien dans la mesure de nos forces, car ce sera nous en faire encore plus qu’à eux-mêmes. Car, dit l’Écriture, si vous pardonnez à vos ennemis, il vous sera pardonné. (Mat. 6,14) Pardonnez les fautes aux serviteurs, afin d’obtenir, pour vos fautes, l’indulgence du Maître ; si les fautes commises envers vous sont grandes, eh bien ! plus elles le sont, plus sera grande aussi, si vous les pardonnez, l’indulgence que vous obtiendrez vous-mêmes. Car c’est pour cela que nous avons été instruits à dire : Pardonnez-nous, comme nous pardonnons (Id. 12) ; c’est afin que nous sachions que la mesure du pardon vient en premier lieu de nous-mêmes. De sorte que, plus les maux qu’un ennemi nous fait sont cruels, plus il nous fait de bien. Efforçons-nous donc et hâtons-nous de nous réconcilier avec ceux qui nous ont persécutés, que leur ressentiment soit juste ou injuste. Car en vous réconciliant ici-bas, vous vous exemptez du jugement d’en haut ; si, au contraire, pendant que votre inimitié subsiste encore, la mort survenant surprend cette haine et l’emporte, il est nécessaire qu’ensuite le compte en soit rendu là-haut. Ainsi, suivons l’exemple d’une foule de gens qui, ayant des contestations entre eux, s’affranchissent de bien des frais, des craintes et des dangers, en s’arrangeant à l’amiable, sans comparaître au tribunal, parce que leur affaire se termine à la satisfaction des deux parties ; lorsqu’au contraire, ils s’adressent au juge, chacun de leur côté, il en résulte de l’argent dépensé, souvent des vengeances, et il reste entre eux une haine indestructible. De même, parmi nous, si nous terminons nos différends pendant cette vie, nous nous délivrons de tout châtiment ; mais si, toujours ennemis, nous paraissons devant le redoutable tribunal, la plus rigoureuse condamnation nous sera certainement infligée par la sentence du divin Juge : les deux parties subiront un châtiment inévitable ; celle dont le ressentiment est injuste sera punie pour cette injustice même, et celle dont le ressentiment est