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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/213

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pense qu’à recueillir le fruit de l’hospitalité, qu’à recevoir entière la récompense proposée. Elle n’ignorait pas que les étrangers pèchent moins que personne par excès d’audace ; ils ont besoin d’un accueil empressé qu’un excès – de réserve ne vienne pas refroidir ; si nous nous avisons de les obséder de questions indiscrètes, ils s’effarouchent, ils se dérobent, ils ne viennent plus à nous qu’à regret. Aussi s’en garda-t-elle bien dans cette occurrence, et son beau-père de même, quand il recevait des hôtes ; il craignait trop d’effrayer le gibier ; il se contentait de donner ses soins au voyageur, et quand il avait tiré d’eux le profit désiré, alors il les congédiait.
8. C’est pour cela qu’il reçut un jour des anges dans sa maison : s’il les avait pressés de questions, sa récompense eût été diminuée d’autant. En effet, ce que nous admirons en lui, ce n’est pas qu’il ait reçu des anges, c’est qu’il les ait reçus sans les connaître. S’il leur avait donné ses soins à bon escient, il n’y aurait là rien de surprenant ; la dignité de tels hôtes aurait rendu courtois et humain l’homme le plus dur et le plus insensible. Ce qu’il faut admirer, c’est que, les prenant pour des voyageurs vulgaires, il leur ait prodigué des soins si empressés. Rébecca fut digne d’Abraham : elle ignorait le nom du serviteur, le but de son voyage, l’intention qu’il avait de la demander en mariage : elle ne voyait en lui qu’un voyageur et un étranger. Aussi la récompense de sa charité fut-elle d’autant plus grande, qu’elle avait accueilli avec une bienveillance parfaite un homme absolument inconnu, tout en restant fidèle aux lois de la chasteté. Ni effronterie, ni hardiesse, ni excès d’instances, ni mauvaise humeur : elle sut remplir son office sans se départir de la réserve convenable. C’est à quoi Moïse fait allusion en disant : L’homme la considérait en, silence, afin de s’assurer si le Seigneur avait béni son voyage. (Gen. 24, 21) Que veut dire ceci : Il la considérait? Cela veut dire qu’il observait son maintien, sa démarche, sa physionomie, son langage, tout enfin avec un grand soin, cherchant à lire dans ses gestes le secret de son âme. Ce n’est pas tout : il veut recourir encore à une autre épreuve. Lorsqu’elle l’eut désaltéré, il ne s’en tint pas là, et lui dit : Fais-moi savoir de qui tu es la fille : y a-t-il dans la maison de ton père un lieu où je puisse descendre ? (Gen. 24, 23) Quelle est sa réponse ? Avec beaucoup de patience et de douceur, elle dit le nom de son père. Elle aurait pu se fâcher et répondre. Mais toi, qui es-tu donc, indiscret, qui t’enquiers si curieusement de notre maison ? Au lieu de cela, elle répondit : Je suis fille de Bathuel, fils de Melcha, qui l’est de Nachor. Il y a chez nous de la paille et du fourrage en abondance, et un endroit pour les hôtes. (Ib, 5, 24, 25) Encore cette fois, comme lorsqu’il s’agissait de l’eau, elle lui donne plus qu’il ne demandait. Alors il ne demandait qu’à boire : elle lui offrit de désaltérer ses chameaux et les désaltéra en effet. C’est la même chose ici : il lui demandait seulement s’il y avait de la place pour les hôtes, elle lui apprend qu’il y a « de la paille, du fourrage et le reste, le tout afin de l’engager, de l’attirer – à la maison, et de recueillir ainsi le prix de l’hospitalité. N’écoutons pas ceci à la légère, ni par manière de distraction, mais songeons à nous-mêmes, mettons-nous à la place des personnages, c’est ainsi que nous apprécierons la vertu de Rébecca. Souvent, quand il nous faut héberger, des amis, des connaissances, nous nous y prêtons à regret, et si leur séjour se prolonge durant une ou deux journées, nous voilà de mauvaise humeur. Rébecca n’avait affaire qu’a, un étranger, un inconnu ; cependant elle met tout son empressement à l’attirer dans sa maison, et cela, sachant bien qu’elle sera obligée de donner ses soins, non-seulement à lui, mais encore à ses chameaux. Le serviteur entre : remarquez une nouvelle et plus forte preuve de son intelligence. Elle lui offre du pain : Je ne mangerai pas, répond-il, avant d’avoir dit ce que j’ai à dire.
Voyez-vous cette activité, cette tempérance ? On l’invite à parler : considérons le langage qu’il tient. Va-t-il leur dire qu’il a un maître de haut rang, universellement honoré, le premier personnage, sans contredit, de la contrée qu’il habite ; s’il eût voulu parler sur ce ton, il n’aurait pas été embarrassé. En effet, les gens du pays honoraient Abraham à l’égal d’un roi. Mais il ne dit rien de pareil ; il passe sur ces titres humains, et c’est de la faveur divine qu’il décore Abraham en disant : Je suis serviteur d’Abraham, le Seigneur a comblé mon maître de ses bénédictions ; et il a été exalté ; et il lui a donné des brebis et des bœufs, de l’or et de l’argent. (Gen. 24, 34-35) S’il fait mention de ces richesses, ce n’est point pour montrer qu’Abraham est dans l’aisance, mais pour faire voir qu’il est aimé de Dieu ; ce n’est pas de les