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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/108

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ville, ni dans une place publique, mais dans le désert. Comme il voulait attirer le démon à ce combat, il ne lui en donne pas seulement l’occasion par la faim et par le jeûne ; mais encore par la solitude. Car le démon attaque bien davantage les hommes lorsqu’il les voit seuls et séparés de tous les autres. Ce fut ainsi qu’il attaqua Eve autrefois, lorsqu’il la vit seule et séparée d’Adam. Quand il nous voit unis avec d’autres, il n’a pas la même hardiesse. Et c’est pour cette raison que nous devons nous trouver le plus souvent que nous pouvons dans la compagnie des gens de bien, afin de n’être pas si exposés aux attaques de notre ennemi.
Ainsi le diable va trouver Jésus-Christ dans le fond d’un désert inaccessible, ce que saint Marc fait assez voir lorsqu’il dit : « Qu’il était avec les bêtes. » (Mc. 1,13) Et considérez avec quelle malice il l’attaque, et comme il sait prendre son temps. Il le tente non durant son jeûne, mais lorsqu’il est ensuite pressé de la faim ; afin que nous apprenions quel grand bien c’est que le jeûne ; que c’est l’arme la plus forte que nous ayons pour combattre le démon, et qu’après le baptême un chrétien ne doit plus s’adonner à la bonne chère, aux délices des festins, mais aux jeûnes et à l’abstinence. C’est pour cela que Jésus-Christ jeûne ; non qu’il eût aucun besoin de jeûner, mais pour nous instruire de notre devoir. Comme les péchés que nous avions commis avant le baptême avaient pour cause l’intempérance dont nous étions les esclaves, Jésus-Christ nous commande de jeûner après le baptême. Et il fait en cela comme un sage médecin, qui, après avoir guéri un malade, lui ordonne de s’abstenir de ce qui lui avait causé son mal.
Considérez, je vous prie, combien l’intempérance a produit de maux. C’est elle qui a chassé Adam du Paradis ; qui a répandu sur la terre les eaux du déluge, et qui a fait tomber sur Sodome les foudres du ciel si ce fut le péché de luxure qui, dans ces deux derniers exemples, attira directement la punition, l’intempérance néanmoins en fut la racine, selon qu’Ézéchiel le remarque par ces paroles : « Le péché de Sodome a été l’orgueil, l’abondance de pain, et les délices de la table. » Ainsi les Juifs sont tombés souvent dans les plus grands crimes par l’amour du vin et de la bonne chère.
2. C’est pour cette raison que Jésus-Christ jeûne quarante jours, pour nous apprendre à chercher dans l’abstinence les remèdes de notre salut. Il ne jeûne pas plus de quarante jours, de peur que l’excès du miracle n’empêchât de croire à la vérité de l’incarnation. Car Moïse et Élie soutenus de la force de Dieu ont jeûné aussi quarante jours. Mais si le jeûne du Seigneur eût été plus long, plusieurs auraient pu douter qu’il eût véritablement pris notre chair. « Et ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim ensuite (2). » Jésus-Christ souffre la faim pour donner sujet au démon de le tenter : il lutte le premier, pour apprendre aux autres la manière de surmonter et de vaincre l’ennemi. C’est ce que les athlètes font tous les jours, lorsqu’ils veulent instruire leurs disciples à surmonter leur adversaire. Ils combattent eux-mêmes en leur présence, afin qu’ils remarquent dans le mouvement de leurs corps, ce qu’ils doivent faire pour terrasser leur antagoniste. C’est ainsi que Jésus-Christ se rend notre chef et notre modèle. Il attire le démon au combat. Il lui fait remarquer la faim qu’il endure ; et il ne le rejette pas lorsqu’il approche : mais après qu’il s’est laissé attaquer, il le terrasse par trois diverses fois avec une facilité toute-puissante.
Mais de peur qu’en passant légèrement sur ces trois victoires, je ne vous prive d’une instruction très importante, nous examinerons chaque tentation en particulier, et nous commencerons par la première. « Et le tentateur s’approchant de lui, lui dit : Si vous êtes Fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains (3). » Cet Esprit de malice ayant entendu la voix du ciel, qui disait clairement ; « Voilà mon fils bien-aimé », et les témoignages si illustres de saint Jean qui assuraient la même chose, se trouvait dans une étrange perplexité en voyant aussitôt après Jésus-Christ pressé de la faim. D’une part la voix du ciel lui persuadait que Jésus-Christ n’était pas un homme et de l’autre cette faim qu’il souffrait l’empêchait de croire qu’il fût Fils de Dieu. C’est pourquoi dans ce doute et dans cette incertitude il parle à Jésus-Christ d’une manière qui témoignait assez l’agitation de ses pensées.
Autrefois pour tenter Eve et Adam il feignit ce qui n’était pas, pour savoir ce qui était ; il suit encore ici la même conduite : et ne sachant pas au vrai le mystère ineffable de l’incarnation,