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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/110

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« vous ne heurtiez le pied contre quelque pierre (6). » Pourquoi le démon commence-t-il toutes ses tentations par ces mots : « Si vous êtes fils de Dieu. » C’est pour faire encore ici ce qu’il fit à l’égard de nos premiers pères. De même qu’alors il osa leur parler mal de Dieu en disant : « Dieu sait qu’au moment que vous mangerez de ce fruit vos yeux seront ouverts (Gen. 3,5) ; » parce qu’il leur voulait faire croire que Dieu les trompait, et qu’il n’avait point d’amour pour eux ; de même il dit ici au Sauveur : C’est en vain que Dieu vous appelle son fils, et il vous trompe par cette qualité qu’il vous donne. Que si vous croyez être en effet ce qu’il vous fait croire que vous êtes, donnez une preuve de votre puissance. Et comme il voyait que Jésus-Christ lui avait rapporté un passage de l’Écriture, il en use de même envers lui, et lui cite un passage du Prophète.
Jésus-Christ s’indigne-t-il ? s’emporte-t-il ? Non, il lui parle avec une extrême douceur, empruntant encore sa réponse aux Écritures : « Jésus lui répondit : Il est écrit aussi : Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu (7). » (Deut. 6,16)
Pourquoi ? Le Sauveur nous apprend par cette conduite, que ce n’est point par les miracles qu’il faut vaincre le démon, mais par une patience ferme et invincible ; et que nous ne devons jamais rien faire par ostentation et par vanité. Mais remarquez combien était grossier l’artifice du démon, jugez-en par le témoignage même qu’il emprunte aux Livres saints : Quant au Seigneur, les témoignages qu’il cite se rapportent admirablement à ce qu’il dit ; mais le démon cite des paroles en l’air et au hasard, sans qu’elles prouvent en aucune sorte ce qu’il en infère. Car ces paroles du Psaume : « Il ordonnera à ses anges d’avoir soin de vous », ne disent pas que le Juste se précipite lui-même. Et de plus, elles n’ont pas été proprement dites de Jésus-Christ, Le Fils de Dieu néanmoins ne se met point en peine de les réfuter, quoique le démon les eût alléguées d’une manière qui lui était si injurieuse et si contraire à leur véritable sens. Car ce n’est point au Fils de Dieu à faire ce que cet esprit de malice lui conseillait alors. C’est au démon à se précipiter lui-même ; comme c’est à Dieu à relever ceux qui sont tombés dans le précipice.
Si Jésus-Christ élevait montrer sa puissance, il le devait plutôt faire, en tirant les autres du précipice, qu’en s’y jetant. Il n’appartient qu’aux démons d’agir de la sorte, et de se précipiter en troupe dans les abîmes. C’est pourquoi ils tâchent de rendre les autres les compagnons de leur chute et de leur supplice.
Cependant Jésus-Christ ne se découvre point encore : et il parle au démon comme un simple homme aurait pu faire. Car en disant : « L’homme ne vit pas du pain seul.; » ou : « Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu ; » il ne dit rien qui le puisse faire reconnaître, et le distinguer des autres. Et ne vous étonnez pas si le démon parlant à Jésus-Christ tourne de toutes parts, et l’attaque de tant de manières. Comme un athlète qui a reçu des blessures mortelles et qui perd la vue avec son sang, ne fait plus que tourner et que s’agiter inutilement : de même le démon après avoir reçu ces deux blessures mortelles, na sachant plus ce qu’il doit dire, parle comme à l’aventure, et recommence une troisième tentation. « Le démon le transporta encore sur une montagne fort haute ; et lui montrant tous les royaumes du monde, et la gloire qui les accompagne, lui dit : Je vous donnerai toutes ces choses, si en vous prosternant devant moi vous m’adorez (8, 9). » « Mais Jésus lui répondit : Retire-toi, Satan ; « car il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul (40). » Jésus-Christ voyant que le démon par ces paroles offensait son Père, en s’attribuant ce qui n’appartient qu’à Dieu, et qu’il se faisait lui-même Dieu, et le créateur de toutes choses, le reprend de son orgueil, quoiqu’avec douceur néanmoins, se contentant de lui dire : « Retire-toi, Satan ; » ce qui était plutôt un commandement qu’un reproche. Ce mot seul, « Retire-toi », le mit aussitôt en fuite ; et on ne voit plus depuis qu’il l’ait tenté.
4. Mais comment saint Luc dit-il, qu’après ces trois tentations, « toute la tentation fut consommée ? » (Lc. 14,13) Pour moi il me semble que l’Évangéliste en marquant ces trois sources principales de tentations, y a renfermé toutes les autres. Car ce déluge de péchés qui inonde tout le monde, n’a point d’autre source que l’appétit sensuel, l’orgueil, et l’avarice. L’esprit de malice le savait parfaitement, et il met l’avarice au dernier lieu, comme le plus puissant de tons les vices : et quoiqu’il l’eût en vue dès le commencement de sa tentation, il la réserve néanmoins pour la fin comme la plus forte de toutes ses armes. C’est là l’ordre qu’il observe dans ses combats. Il réserve pour le dernier ce qui est le plus capable de faire tomber les justes. C’est ainsi qu’autrefois il attaqua Job. et c’est ainsi qu’il attaque Jésus-Christ ; commençant d’abord par les armes les plus faibles, et employant ensuite les plus fortes.
Comment donc pouvons-nous vaincre un ennemi si redoutable ? Nous le pouvons en faisant ce que Jésus-Christ a fait, c’est-à-dire, en ayant recours à Dieu ; en croyant toujours, quand nous serions abattus par la faim, qu’il peut nous nourrir d’une seule parole ; en ne tentant point Dieu dans les biens que nous en avons reçus ; en nous contentant de la gloire du ciel, sans nous mettre en peine de celle de la terre : et en rejetant dans l’usage des biens de ce monde, tout ce qui passe les bornes de la plus exacte nécessité.
Il n’y a rien qui assujettisse tant d’hommes au démon que l’amour du bien, et le désir de devenir riches. On ne le voit que trop tous les jours par une malheureuse expérience. Car il y a encore aujourd’hui des personnes qui disent : Nous vous donnerons tout ce que vous voyez, si vous voulez vous prosterner pour nous adorer. Ces personnes paraissent hommes au-dehors ; mais elles sont en effet les instruments du démon. Nous voyons aussi qu’alors le démon ne tenta pas seulement Jésus-Christ par lui-même, mais qu’il le tenta encore par les hommes. « Il se retira de lui pour un temps », dit saint Luc, pour marquer que le démon tenterait encore le Sauveur par les hommes qui devaient être comme les organes de sa malice. « Alors le démon le laissa, et aussitôt les anges s’approchèrent de lui, et ils le servaient (11). » Pendant que Jésus-Christ combat le démon, il ne permet pas que les anges paraissent, afin de ne le pas mettre en fuite avant que de l’avoir vaincu. Mais après une si glorieuse victoire, les anges – lui apparaissent pour vous assurer que toutes les fois que vous aurez vaincu le démon, les anges viendront aussitôt pour se réjouir avec vous de votre victoire, et pour vous accompagner, comme vos gardes et vos défenseurs. C’est ainsi qu’ils reçurent autrefois le Lazare, lorsqu’il sortit de la