Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pauvre vous engage plus à la douceur et à la paix. C’est aux riches à disputer et non pas aux pauvres : car les richesses mêmes leur donnent mille sujets de divisions et de querelles. Vous n’avez pas la satisfaction des richesses, et vous en attirez la malédiction sur vous, en vous engageant comme les riches dans des inimitiés et des querelles. Vous osez battre et outrager votre frère, vous l’étranglez, et vous le foulez aux pieds devant tout un peuple. Ne voyez-vous pas quelle honte vous encourez en imitant la fureur des bêtes féroces, en les surpassant même en cruauté ? Car les bêtes ont toutes choses en commun ; elles s’attroupent ensemble ; elles marchent ensemble ; elles se réjouissent d’être ensemble : et nous, au contraire, nous n’avons rien de commun. Tout est dans la confusion parmi nous ; ce ne sont qu’inimitiés, que querelles qu’injures et outrages. Nous n’avons de respect ni pour le ciel, où nous sommes tous appelés, ni pour la terre qui nous a été donnée pour en jouir tous ensemble ; ni pour la nature même qui nous est commune à tous. La passion de la colère, et l’amour des richesses ont tout ravagé dans nos cœurs.
Ne savez-vous point dans quel malheur tomba ce serviteur, qui devait mille talents à son maître et qui osa bien, après qu’on lui eut remis cette dette, étrangler sans compassion un de ses confrères qui lui devait cent deniers ? Vous souvenez-vous comment il fut condamné sur l’heure à une éternelle mort ? Vous ne tremblez point à cet exemple et vous ne lisez pas dans le sort de ce misérable l’arrêt qui est déjà prononcé contre vous ! Car nous sommes aussi nous autres redevables à Dieu d’une infinité de dettes. Et néanmoins sa patience nous attend et il ne nous traite point avec la rigueur dont nous usons envers nos frères. Il ne nous met point le pied sur la gorge, quoique s’il voulait se faire payer de la moindre partie de ce que nous lui devons, il y a déjà longtemps que nous serions tous perdus.
Pensons à ceci, mes très-chers frères, humilions-nous et tenons-nous pour obligés à ceux même qui nous doivent, puisque si nous agissons sagement et chrétiennement envers eux, ils nous serviront à obtenir de Dieu la remise d’une grande dette et qu’en leur donnant peu, nous en recevrons beaucoup. Pourquoi exigez-vous avec violence ce que votre frère vous doit ? Quand il voudrait vous le rendre, vous devriez le lui remettre volontairement, afin que Dieu vous en tînt compte un jour et vous rendit le tout. Cependant vous agissez inhumainement et vous faites tous vos efforts pour ne pas perdre un denier de ce qui vous est dû. Il semble que cette violence ne tombe que sur votre frère ; mais vous vous percez vous-mêmes en le blessant et vous ne faites qu’accroître le supplice qui vous est réservé dans l’enfer. Que si au contraire vous témoignez un peu de charité, vous obligerez Dieu même à vous traiter avec douceur dans son jugement. Car il veut que nous commencions ici les premiers à pratiquer cette générosité envers nos frères, afin d’en tirer occasion de nous rendre beaucoup plus que nous ne donnons.
Faites donc grâce à tous ceux qui vous sont redevables, remettez aux uns l’argent qu’ils vous doivent, aux autres les offenses que vous en avez reçues, et exigez ensuite de Dieu la récompense de cette conduite si généreuse. Tant que vous presserez les hommes de vous payer, Dieu ne sera point votre débiteur. Mais quand vous leur remettrez ce qu’ils vous doivent pour vous adresser à Dieu, il récompensera votre générosité par une magnificence toute divine. Si un homme, vous voyant prendre l’un de vos débiteurs à la gorge pour lui faire payer ses dettes, vous conjurait de le laisser et se chargeait lui-même de cette dette ; et qu’en sa considération vous eussiez laissé aller cet homme libre, n’est-il pas vrai que ce répondant si charitable se tiendrait pour votre obligé, quoiqu’il se fût chargé de toute la dette que vous exigiez de l’autre ? Comment donc Dieu ne nous récompensera-t-il pas à l’infini, puisque pour obéir à sa loi, nous remettons à nos débiteurs tout ce qu’ils nous doivent sans leur redemander la moindre chose ?
Ne considérons point, mes frères, ce plaisir cruel que nous trouvons à exiger des autres tout ce qu’ils nous doivent, mais envisageons le péril où nous nous exposons pour jamais, et la perte que nous faisons volontairement des richesses éternelles. Élevons-nous aujourd’hui au-dessus de tout. Remettons aux hommes ou l’argent qu’ils nous doivent, ou le mal qu’ils ont commis contre nous, afin que notre juge nous traite plus favorablement dans ce que nous lui devons et qu’il nous accorde, par cette facilité à pardonner les injures, ce que nous n’avons pu obtenir de lui par toutes les autres vertus. Ce sera le moyen de jouir éternellement