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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/182

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que peu à peu. Quoiqu’il eût montré en sa personne un si grand exemple de ce mépris des richesses, en rejetant, lorsqu’il fut tenté dans le désert, tous les biens du monde que le diable lui promettait ; il ne s’en sert pas néanmoins et n’en parle point, parce que le temps de découvrir ces choses n’était pas encore venu. Il se contente de nous porter à ce mépris par des raisons qu’il propose, et d’agir plutôt en ami qui conseille, qu’en souverain qui commande. Car après avoir dit « Ne vous faites point de trésors dans la terre », il ajoute : « où les vers et la rouille les mangent, et où les voleurs les déterrent et les dérobent. » Il montre d’abord combien le trésor qu’il promet dans le ciel surpasse celui qu’on peut amasser sur la terre, soit par la différence du lieu où ces trésors sont en dépôt, soit par l’avantage que l’un a naturellement sur l’autre.
3. Mais il ne s’arrête pas là, et se sert encore d’un autre raisonnement. Il détourne d’abord les hommes de l’avarice par la crainte des maux mêmes qu’ils appréhendent davantage. Car, que craignez-vous ? dit-il. Appréhendez-vous que votre bien ne se perde si vous en faites l’aumône ? Au contraire, faites l’aumône, et il ne se perdra jamais. non seulement il ne se perdra pas, mais il profitera beaucoup. Car il vous acquerra tous les biens du ciel. C’est ce qu’il marque dans la suite. Mais il se contente d’abord de proposer ce qui pouvait avoir le plus de force sur les esprits, savoir, la conservation des trésors. A cette considération, il en ajoute une autre qui était très propre à toucher les cœurs, comme s’il disait : non seulement votre bien se conservera si vous le donnez en aumône, mais il périra, au contraire, si vous ne le donnez pas. Et remarquez la sagesse ineffable du Sauveur. Car il ne dit pas Vous laisserez cet argent à vos héritiers, ce qui est une satisfaction pour beaucoup ; mais chose terrible, cette consolation, les avares ne l’auront même pas, parce qu’à supposer que les hommes n’y touchent point, il y a autre chose qui ne manquera pas de les détruire, les vers et la rouille. Quoique ce danger ne paraisse rien, il est néanmoins inévitable, et quelque précaution que vous y puissiez apporter, vous ne le préviendrez pas. Quoi donc, me direz-vous, la rouille consumera mon or ? Si la rouille ne le consume, les voleurs l’enlèveront. Mais tout le monde a-t-il donc été volé ? C’est le sort de la plupart, sinon de tous. Jésus-Christ établit ensuite la même vérité par une autre raison. « Car où est votre trésor, là est aussi votre cœur (21). » Quand vous éviteriez tous ces malheurs, vous ne laisseriez pas de souffrir un grave dommage de votre honteux attachement aux choses d’en-bas : vous voilà esclave au lieu de libre, déchu des choses du ciel, incapable de tout grand sentiment, ne rêvant qu’argent, qu’usure, que créances, que gain, qu’abjects trafics. Quoi de plus misérable qu’un tel état ? Il n’y a point de plus triste servitude que celle d’un homme qui s’assujettit lui-même à cette tyrannie de l’avarice, et, ce qu’il y a de plus mortel, qui foule aux pieds la noblesse et la liberté de l’homme. Tant que vous aurez l’esprit ainsi attaché à vos richesses, quelques vérités qu’on vous annonce, et quelque avis qu’on vous donne pour votre salut, tout vous sera inutile. Vous serez comme ces chiens qu’on attache à des sépulcres, et votre avarice vous y liera plus étroitement que toutes les chaînes. Vous y aboierez contre tout le monde, et vous n’aurez point d’autre occupation que de conserver pour d’autres les trésors que vous gardez. Je vous demande encore une fois s’il n’y a rien de plus misérable que cet état ?
Cependant, comme ces choses étaient encore trop relevées pour la faiblesse de ses auditeurs, et qu’ils ne pouvaient aisément comprendre ni le tort qu’ils se faisaient en conservant leur trésor, ni le gain qu’ils retiraient eu le méprisant ; mais qu’il fallait avoir l’esprit plus éclairé pour concevoir ces vérités, Jésus-Christ ajoute aussitôt cette maxime claire et constante : « Où est votre trésor, là est aussi votre cœur », ce qu’il éclaircit après à l’aide d’une comparaison sensible en disant : « La lumière de votre corps, c’est votre œil. » Voici donc le sens de tout ce passage : N’enfouissez point votre or ni autre chose enterre, puisque agir de la sorte c’est amasser pour les vers, la rouille et les voleurs. Et quand vous éviteriez ces pertes, vous ne pourrez empêcher que votre cœur ne soit l’esclave de cet or que vous aimez, et qu’il ne s’attache à la terre : « Car où est votre trésor, là est aussi votre « cœur. » Mais mettez votre trésor en dépôt dans le ciel, et vous ne retirerez pas seulement l’avantage d’y devenir heureux un jour, mais, par une récompense anticipée, vous aurez dès cette terre votre conversation dans le ciel, ne pensant plus qu’aux biens qui y sont,