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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/227

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faire voir malgré eux-mêmes quelle était la foi de cet homme.
3. Et pour vous mieux faire voir la vérité de cette interprétation, écoutez saint Luc qui vous la donne lui-même : Il rapporte, en effet, que comme Jésus approchait, le centenier lui envoya dire : « Seigneur, ne vous donnez pas cette peine, car je ne suis pas digne que vous entriez chez moi. » (Lc. 7,44) Aussitôt qu’il se vit dégagé de l’importunité des Juifs, il envoya des personnes à Jésus-Christ pour lui dire que ce n’était point par indifférence qu’il n’était pas venu le trouver lui-même, mais parce qu’il se croyait très-indigne de le recevoir chez lui. Il est vrai que, selon saint Matthieu, ce fut le centenier lui-même qui dit ces paroles à Jésus-Christ, et non à ses amis, mais cela ne fait rien. Car il ne s’agit ici que de savoir si l’un et l’autre Évangéliste nous témoignent que le centenier avait une foi vive, et une convenable idée de – la – puissance du Sauveur. Il est même vraisemblable que le centenier vint ensuite lui-même dire ce qu’il avait d’abord fait dire par ses amis. Saint Lc. me direz-vous, ne rapporte pas que le centenier soit venu en personne. Mais saint Matthieu non plus ne dit pas qu’il ait envoyé ses amis ; quoi qu’il en soit, ce n’est pas là se contredire, mais simplement se suppléer mutuellement.
Saint Luc relève encore la foi du centenier, lorsqu’il dit que son serviteur était tout près de mourir. Car il ne fut point ébranlé dans un état si désespéré. Il ne conçut point de défiance, et espéra contre toute apparence que Jésus-Christ pourrait lui rendre son serviteur.
Ce que Jésus-Christ dit selon saint Matthieu, « qu’il n’avait pas trouvé une aussi grande foi dans Israël même », fait bien voir que cet homme n’était point juif. Et ce que saint Luc rapporte « qu’il avait bâti une synagogue », n’y est point contraire, puisque le centenier, sans être juif lui-même, pouvait néanmoins aimer ce peuple et lui bâtir des synagogues.
Mais je vous prie d’examiner avec soin les paroles de cet homme, et de ne pas oublier qu’il était centenier, c’est-à-dire qu’il commandait cent hommes de guerre, pour juger delà quelle était sa foi. Car l’orgueil est grand dans les charges publiques, et il ne cède pas même à l’affliction. Aussi l’officier dont il est question dans saint Jean (Jn. 4,35), entraîne plutôt Jésus-Christ chez lui, qu’il ne l’invite à y descendre : « Seigneur », dit-il, « descendez avant que mon fils ne meure. » Ce n’est pas là l’humble prière de notre centenier, et sa foi est même beaucoup plus grande que celle de ceux qui découvraient le toit d’une maison pour descendre le paralytique, et le présenter devant le Sauveur. Car il ne croit point que la présence extérieure de Jésus-Christ fût nécessaire, et il ne se met point en peine de lui présenter le malade. Il rejette toutes ces pensées comme trop disproportionnées à ce Médecin céleste. Mais se formant une idée du Fils de Dieu digne véritablement de sa grandeur, il ne lui demande autre chose, sinon qu’il dise une seule parole, et qu’il commande à la maladie de s’en aller.
Il ne commence pas même par là ; mais il représente d’abord son affliction. Car son extrême humilité l’empêchait de croire que Jésus-Christ se rendît si tôt à sa prière, et qu’il s’offrît même de venir chez lui. C’est pourquoi, surpris de cette parole : « J’irai et je le guérirai », il s’écrie aussitôt : « Je n’en suis pas digne, Seigneur ; dites seulement « une parole. » L’affliction où il était ne lui ôte point la liberté de son jugement, et il montre une haute sagesse dans sa douleur. Il n’était point tellement préoccupé de sauver son serviteur malade, qu’il n’appréhendât en même temps de rien faire d’irrespectueux pour le Sauveur. Et quoique Jésus-Christ s’offrît de lui-même à aller chez lui sans qu’il l’y eût engagé, il ne laissait pas de craindre cette visite comme une grâce dont il était trop indigne, et comme un honneur qui l’accablait.
Qui n’admirera donc d’une part la sagesse de cet homme, et de l’autre la folie des Juifs, qui disaient hautement à Jésus-Christ e qu’il était « digne de cette grâce ? » Car, au lieu l’avoir recours à l’extrême bonté de Jésus-Christ, ils mettent en avant le mérite de cet homme, sans même savoir en quoi consiste surtout ce mérite. Mais le centenier au contraire proteste qu’il est indigne, non seulement de la grâce qu’il demande, mais encore de recevoir Jésus-Christ chez lui. Après lui avoir dit : « Mon serviteur est malade », il n’ajoute pas aussitôt : « Dites seulement une parole », parce qu’il craignait d’être trop indigne de cette faveur, mais il se contente d’avoir exposé simplement ce qui l’affligeait. Et lorsque Jésus-Christ le prévient et lui promet plus qu’il ne demande, il n’ose pas même encore accepter ses offres, mais sans s’enfler de cet honneur il se conserve